Quinze universités fermées. Des milliers d’étudiant-e-s et de professeurs en errance. Les hautes études en péril. Une Turquie en crise.

Suite au coup d’Etat manqué de juillet dernier, des milliers de personnes ont été arrêtées en Turquie. L’éducation n’a pas été épargnée. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce que les médias, dans notre pays, ont qualifié de « purge ». Et plus particulièrement sur l’impact que cette dernière a eu dans les milieux universitaires. Ayşen Uysal, spécialiste de l’action collective et professeure en science politique à l’Université Dokuz Eylül à Izmir, était de passage à l’Université de Fribourg. Suite à sa conférence (14.11.16), sur le thème des manifestations en Turquie, nous avons eu la chance de la rencontrer.

En tant qu’universitaire, vous étiez aux premières loges pour assister à cette purge de l’éducation ; comment avez-vous vécu ces bouleversements ?

La purge dans les universités n’a pas commencé par le coup d’état du 15 juillet. Après la pétition des universitaires pour la paix (BAK) en janvier 2016, de nombreux collègues ont été licenciés. Mais après le coup d’état, à Izmir par exemple, deux universités ont fermé. En une nuit, des milliers de collègues sont restés sur le pavé. Ces universitaires n’ont presque aucune chance de retrouver un poste. Les étudiants sont aussi touchés. L’université où je travaille en a accepté certains provenant d’une université fermée. Dans le pays, ce sont au total quinze universités qui ont fermé. On parle bien de milliers d’étudiants et de collègues qui sont dans un état vraiment indéfini. Ils cherchent des possibilités, parfois à l’étranger, parfois au niveau national. Certains d’entre eux font aussi des procès, mais ça prend du temps.

Des recteurs d’université ont reçu l’ordre de traquer parmi leurs personnels les sympathisants présumés de Fethullah Gülen, mais également ceux  de la gauche pro-kurde (HDP) ; cela s’est-il concrétisé sur votre environnement professionnel ?

Il y a toujours un contrôle très fort à l’encontre des enseignants opposés au gouvernement. Cela ne concerne donc pas seulement les Gülénistes, mais surtout la gauche et les kurdes. Des policiers en civil sont présents pendant les cours, surtout dans les facultés de sciences sociales. Même si on ne critique pas ouvertement le gouvernement, il y a souvent des discussions critiques pendant les cours. Des étudiants, très fidèles au gouvernement, collaborent régulièrement avec la police. Ils dénoncent fréquemment les professeurs. A cause de cela, certains collègues ont été interpellés, ont subi un interrogatoire de la police et ont été limogés.

Pensez-vous que le coup d’Etat de juillet dernier ait servi à légitimer un processus de répression débuté déjà en janvier dernier ?

Question difficile. En ce qui concerne le coup d’Etat du 15 juillet 2016, on n’en connaît presque rien. C’est la boite noire. L’armée était déjà faible et la communauté Gülen discrète. Mais personnellement, je pense que le gouvernement a bien su profiter de ce coup d’Etat pour renforcer son pouvoir et constituer un régime qui lui convient mieux.

Vous qui avez vu l’évolution de la recherche en sciences sociales ces dernières années, quels espoirs voyez-vous à l’heure actuelle ?

Il n’y a pas beaucoup d’espoir. La recherche n’a pas que peu d’importance en Turquie, le gouvernement n’en a pas besoin. En plus, avec le dernier décret-loi, c’est le président de la république qui nomme directement les recteurs d’université. Jusqu’à maintenant, il y avait une élection au sein des universités. Avant-hier (le 12.11.16), il a nommé Mehmed Özkan, qui n’avait pas participé aux élections à l’université de Bosphore, alors qu’une candidate, Gülay Barbarasoglu, avait obtenu 86% des votes. Suite à cela, il y a eu des protestations aujourd’hui (le 14.11.16) dans cette université. Pour la première fois, les forces policières sont rentrées dans le campus pour réprimer les étudiants qui protestaient contre le nouveau recteur. Comment est-ce possible ? Parce qu’en effet, en Turquie, les forces policières peuvent accéder dans les campus uniquement avec l’autorisation du recteur. Ainsi, en le choisissant, c’est plus pratique.

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