Chef-d’œuvre littéraire et cinématographique du 20ème siècle, Le Village des Damnés a marqué la culture populaire. Ces enfants au regard inquiétant, vous les avez forcément vu·e·s quelque part.

Le miracle de la vie peut tourner au cauchemar. « Beware the stare ! », avertissait l’affiche du film de 1960.

Les yeux d’or

Midnight City est un morceau envoutant du groupe français M83. Sur une musique électro exaltante et onirique, vous êtes invité·e·s à prendre place dans une voiture inconnue. Dans l’attente d’une balade qui vous emmènera au cœur de la nuit, votre regard contemple sur l’horizon une ville flamboyante aux yeux d’or (pour reprendre la formule de Juliette Noureddine).

Le clip raconte une autre histoire. Celle d’enfants doué·e·s de télékinésie, dont le regard s’illumine d’une lueur bleutée lorsque leurs pouvoirs entrent en action. Objets de l’attention des autorités, iels décident de prendre le large et de conquérir leur liberté. Au terme du récit, les jeunes gens surplombent avec gravité une cité anonyme dans le crépuscule naissant. Sans doute cette métropole que vous admiriez par-dessus le tableau de bord ?

« Waiting in a car / Waiting for a ride in the dark / The night city grows / Look and see her eyes, they glow » (M83, Midnight City, Hurry Up, We’re Dreaming, 2011) (Naïve Records).

Un souvenir d’enfance

J’ai un sentiment de déjà-vu. Des gamin·e·s à la chevelure diaphane qui vous fixent d’un regard rougeoyant mais froid. Puis ça me revient : un article ciné dans un vieux Picsou Magazine. Une image à hanter vos jeunes nuits, car les Enfants (avec une majuscule) du roman de John Wyndham ne vous veulent aucun bien. Dans The Midwich Cuckoos(Les Coucous de Midwich, 1957), l’auteur britannique raconte l’histoire déconcertante d’un village où toute la population sombre dans un profond sommeil. Radiations ? Attaque chimique ? Épidémie ? Les autorités sont perplexes et désarmées. Pourtant, au terme de ce « Dayout », tout le monde se réveille brusquement, déboussolé et transi de froid, mais en bonne santé. De rares décès sont à déplorer. La vie reprend son cours.

« Dans l’adaptation de 1960, George Sanders joue le rôle de Gordon Zellaby, un notable de Midwich qui semble jouir d’un relatif respect de la part des Enfants » (MGM)

Mais rapidement, il apparaît que toutes les femmes en âge de procréer sont enceintes. Dans cette société encore très conservatrice, la découverte produit son petit effet. Et quelques mois plus tard naît une ribambelle de chérubin·e·s tou·te·s identiques, d’aspect humain, et pourtant si étrangers. D’autant que les chères têtes blondes, dépourvues de sentiments, semblent capables d’imposer leur volonté à leur entourage. Dès lors, les « accidents » se multiplient dans la paisible bourgade…

Une icône de la pop culture

Le clip de Midnight City rend hommage à ce chef-d’œuvre de la culture populaire, passé à la postérité sous le titre Le Village des Damnés, grâce à ses deux adaptations cinématographiques. Chacune de ces œuvres mérite que vous vous y attardiez.

Le livre, à la fois court et abordable, est un délice à lire, malgré des conjectures scientifiques datées. L’histoire est rapportée du point de vue des notables, dont l’inénarrable Gordon Zellaby, châtelain et écrivain fort cultivé et un brin excentrique, qui noue une relation particulière avec les inquiétant·e·s Enfants. Mais le récit donne aussi un aperçu des relations populaires dans une campagne anglaise où la sexualité et la grossesse hors mariage restent taboues.

« Lorsqu’iels se sentent menacé·e·s, les Enfants superposent leur volonté meurtrière à celle de leurs ennemi·e·s réel·le·s ou supposé·e·s, et annihilent celle des infortuné·e·s spectateur·rice·s » (MGM)

Le film de 1960, réalisé par le Britannique Wolf Rilla, constitue une adaptation très fidèle du roman. La narration reste palpitante, tout en conservant la candeur d’un cinéma encore pudique à l’égard des scènes violentes.

La version de 1995 prend évidemment plus de libertés, mais offre un excellent remake. Si le Midwich de John Carpenter se situe aux États-Unis, ce n’est visiblement pas en Alabama, puisque les malheureuses victimes du Timeout se voient offrir la possibilité d’avorter avec le soutien du gouvernement. Le personnage de la Dre Susan Verner et la désolidarisation d’un des Enfants constituent des innovations intéressantes. Mais surtout, les « accidents » causés par les Enfants sont représentés d’une manière très « graphique » qui ne manquera pas de vous arracher quelques cris d’horreur, ou de dégoût. Avis aux amateur·rice·s !

« Kirstie Alley joue le rôle de Susan Verner dans le film de 1995. À ses côtés, Christopher Reeve (Dr Ian Chaffee) » (Universal Pictures)

Faites votre choix ! Mais quoi qu’il arrive, ne croisez surtout pas leur regard…