Pour la rentrée universitaire 2020, la rédaction de Spectrum vous concocte un magazine Spécial Climat ! L’occasion d’évoquer ici quelques œuvres mettant en scène l’humanité et ses déboires environnementaux. Aujourd’hui : Des milliards de miroirs, de Robin Cousin (Éd. Flblb).

45 années-lumière

Dans un futur proche et terriblement familier, l’humanité se prépare à tirer sa révérence. Les indices sont multiples : l’eau courante n’est plus potable, une misère endémique campe dans les rues. On mange enfin des insectes, mais en reste-t-il seulement à l’état sauvage pour perpétuer nos écosystèmes ? Quant aux derniers mammifères, on les conserve sous un dôme, ultimes reliques d’un monde finissant.

Dans ce roman graphique paru en 2019, les protagonistes portent le masque pour se protéger, non pas comme nous d’un virus, mais d’un air vicié et de l’oppression étatique (Robin Cousin, Des milliards de miroirs, pp.24, 132 et 248).

C’est dans ce contexte d’attente résignée que l’astronome Cécilia Bressler fait une découverte : à 45 années-lumière de la Terre, sur la planète Gamma Cephei Bb, un entrelacs de lumières semble indiquer la présence d’une civilisation extraterrestre. Douce-amère ironie, qui apporte une réponse si tardive à la question de notre solitude dans l’univers.

Dans ce conte de notre époque, Robin Cousin nous emmène à la rencontre d’une galerie de personnages aussi divers que touchants : Cécilia et son vétérinaire d’époux ; Benjamin Eberhardt, un entrepreneur cynique, mais père aimant ; les illuminé·e·s de la Communauté d’estime des Céphéens, dont la très attachante Marie-Pierre ; Elaine Leong, une fonctionnaire de l’ONU ; etc. Certain·e·s se perdront, d’autres se retrouveront. Oscillant entre la crainte et l’espoir, entre la folie et l’optimisme, vous les verrez évoluer au fil des pages vers un épilogue aux couleurs chaudes. Une fin ouverte qui ne sera ni un happy end, ni un couperet.

Les regards et les espoirs d’une humanité en sursis se tournent vers une mystérieuse planète inaccessible (Robin Cousin, Des milliards de miroirs, pp.108-109).

La beauté des gens normaux

Robin Cousin a un style graphique et scénaristique immédiatement identifiable, caractérisé par une ligne claire volontairement grossière. « J’aime l’idée que le dessin soit tellement simple qu’il disparaît presque derrière l’histoire qui est racontée », m’explique-t-il. Il joue volontiers sur les silences, souvent plus parlants que de longs phylactères à la Edgar P. Jacobs. Et il revendique de « dessiner des gens “normaux”, pas spécialement beaux, pas spécialement héroïques ». Ce qui renforce le sentiment d’identification. Cécilia Bressler, Benjamin Eberhardt, c’est vous, c’est moi. C’est nous.

L’effondrement de notre civilisation est présenté par touches, jamais de manière frontale. La scène la plus « choquante » sera un dîner au restaurant, durant lequel le directeur de l’ESA s’envoie goulûment vin et homard face à sa digne interlocutrice. Mais rassurez-vous, « c’est de l’élevage » et, de toute façon, « les insectes, il peut pas ». Reflet de notre société dans le déni.

La découverte des hypothétiques Céphéen·ne·s suscite toute une palette de réactions, du cynisme à l’espérance (Robin Cousin, Des milliards de miroirs, pp.89, 95 et 129).

Un regard citoyen sur notre société

Les Éditions Flblb (prononcez « fleubeuleub ») sont coutumières des publications engagées, comme la caustique Petite histoire des colonies françaises de Grégory Jarry et Otto T., ou Saison des Roses de Chloé Wary, un récit sur une équipe de foot féminine primé au Festival d’Angoulême.

Robin Cousin n’est pas en reste. Dans ses œuvres, il s’attaque à des sujets d’une actualité brûlante, comme l’invasion de notre sphère privée par les technologies de l’information (Le Profil de Jean Melville) ou le rôle de la science (Le chercheur fantôme).

Et il ne s’arrête pas là ! Le 20 août prochain sortira Cursus fin du monde, préquelle Des milliards de miroirs. « Il s’agissait pour moi de répondre à Des milliards de miroirs, qui me semblait trop peu politique et très noir, en faisant une histoire qui se passe de nos jours, où il semble qu’il y a un peu plus de marge de manœuvre et donc un peu plus d’espoir pour améliorer les choses. (…) Dans Cursus fin du monde, j’ai vraiment voulu aborder les liens entre sciences et politique à travers la question de l’engagement des scientifiques ».

Des milliards de miroirs est disponible gratuitement en ligne sur le blog de l’auteur et sur le site de Mediapart (voir les liens ci-dessous). Mais si vous souhaitez soutenir un jeune auteur et une maison d’édition engagé·e·s, vous pouvez le commander chez votre libraire. Vous vous feriez un beau cadeau, car ce roman graphique est un magnifique objet.

Robin Cousin scrute notre avenir immédiat et interroge le rôle de la science et de la politique dans la crise environnementale (Editions Flblb).
Des milliards de miroirs est disponible en librairie sur commande
à partir de 35,70 CHF.
Cursus fin du monde sera disponible à compter du 20 août à partir de 20,40 CHF.
Des milliards de miroirs en ligne (site Mediapart) :
https://blogs.mediapart.fr/edition/bande-dessinee-des-milliards-de-miroirs.
Le site des Éditions Flblb : https://www.flblb.com/.
Le blog de Robin Cousin : https://robincousin.blogspot.com/.