En exclusivité, Spectrum vous présente le lauréat du sixième prix Goncourt suisse, dévoilé le 26 novembre à 17h sur le site de l’ambassade suisse.

Depuis six ans, le Goncourt suisse est désigné par un jury étudiant issu de sept universités et grandes écoles suisses. Inspiré des différents prix déjà existants à l’étranger, le choix Goncourt de la Suisse est né en mars 2015 sous l’impulsion de Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt depuis 2012. Sur le fonctionnement et les origines de cette prestigieuse institution, vous pourrez découvrir, dès le lundi 30 novembre, un article dans notre numéro print écrit par Maxime Corpataux et Manon Savary.

Cette année, les étudiants ont élu le roman Chavirer de Lola Lafon, publié aux éditions Actes Sud, un texte chroniqué par notre responsable culturelle Velia Ferracini. Le lauréat a été annoncé ce jeudi 26 novembre à 17h sur le site officiel de l’ambassade suisse, la traditionnelle cérémonie n’ayant pas pu se dérouler en raison de la pandémie actuelle.

Chavirer, c’est l’histoire de Cléo, une adolescente de treize ans qui se voit proposer une bourse lui permettant de réaliser son rêve de danseuse. Recrutée par l’élégante Cathy, la jeune fille passe les étapes du casting de la mystérieuse fondation Galatée. Jugée trop immature, notamment car elle se refuse à un membre du jury ayant initié une relation intime avec elle, Cléo se voit offrir un travail de « recruteuse de talent ». S’accrochant à son rêve, elle accepte et entraîne alors d’autres collégiennes dans ce piège sexuel, monnayé. Lola Lafon retrace donc le parcours d’une jeune femme abusée qui ne parvient à s’extirper de la culpabilité d’avoir joué un rôle dans un commerce d’adolescentes.

Chavirer, un changement nécessaire ?

Ce roman, « C’est un voyage intérieur, une liberté, qui nous a été merveilleusement précieuse cette année » a déclaré Frédéric Journès, Ambassadeur de France en Suisse. En effet, il s’agit d’un texte fort qui présente l’aspect populaire de la culture. Il critique finement le mépris des élites et revalorise la France populaire, celle qui est accessible à tous. Au travers d’un puzzle de regards, le lecteur découvre une jeune femme dévastée par le sentiment, inconscient, d’être à la fois bourreau et victime. Chavirer est un texte qui plonge son lecteur dans la violence, qui lui arrache le souffle, tout en le caressant de la délicatesse d’une écriture au microscope, d’une écriture à l’image des peaux marquées de bleus des danseuses épuisées, d’une écriture de l’Humanité.

Récompenser Chavirer d’un prix Goncourt, c’est un acte important, engagé : c’est affirmer officiellement qu’on désire changer notre monde. Le lendemain de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, voir Chavirer récompenser d’un prix Goncourt, c’est colorer cette année littéraire d’espoir. Lola Lafon écrit la difficulté d’être femme à en faire pleurer son lecteur, mais le voir récompenser d’un Goncourt suisse fait couler d’autres larmes, des larmes de reconnaissance de voir que l’on accepte progressivement de prendre conscience de la nécessité d’une transformation sociale. Car Chavirer questionne le silence et l’abus de puissance, remet en cause une société où le mouvement #metoo nous fait nous demander comment il est possible que le harcèlement soit si présent et qu’il ait fallu aussi longtemps pour arriver à une libération de la parole. Récompenser Chavirer du prix Goncourt suisse, serait-ce la première marque d’un changement nécessaire ?

Texte : Velia Ferracini & Leonardo Mariaca
Crédits photo : Ambassade française à Berne