En ces temps de pandémie, un florilège de théories du complot se fait entendre, particulièrement sur les réseaux sociaux. L’équipe de Spectrum a décidé d’enquêter.

Une théorie du complot, c’est une accusation de complot sans preuves suffisantes, en opposition à un vrai complot dévoilé quant à lui par une enquête qui met en lumière des preuves directes de l’existence dudit complot. Climatosceptiques, adeptes de la Terre plate, Illuminati ou encore théorie des Anciens Astronautes, si les théories les plus connues semblent être les plus extravagantes, certains et certaines y croient dur comme fer. Mais à l’ère d’internet et de la libre information, comment expliquer qu’il soit encore possible d’entendre fièrement dire que l’homme n’a pas marché sur la Lune ?

Cerveau et Rasoir d’Ockham

La réponse est avant tout à chercher dans notre cerveau. Celui-ci a pour but premier notre survie, et il se trouve que la méfiance est une qualité biologique et sociale très utile, surtout en cas de situation extrêmes. Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale et en statistique à l’Université de Fribourg, explique : « En cas de guerre, si vous entendez la rumeur que l’ennemi va lancer une attaque dans les prochains jours, vous avez meilleur temps de vous tenir prêt, même si rien ne vient soutenir cette hypothèse ». Un autre biais psychologique très utile à notre préservation mais très dangereux dans le cadre de nos croyances est le biais de conjonction, soit le fait d’associer deux éléments qui n’ont pourtant rien à voir : « Si vous n’arrivez pas à dormir et qu’il y a la pleine Lune dehors, et que cette situation se répète plusieurs fois, vous en déduirez que c’est la pleine Lune qui vous empêche de dormir, sans qu’aucun lien ne puisse réellement être établi et sans prendre en compte les fois où l’on a bien dormi malgré la pleine Lune », souligne le chercheur. Le fait d’associer deux éléments est vitale pour notre cerveau : si l’on entend une branche craquer derrière nous en pleine forêt, même sans preuve, il peut être judicieux de se mettre à fuir.

Mais alors, comment distinguer un faux complot d’un vrai ? « Quelqu’un qui veut mettre en avant une hypothèse doit prendre en compte deux principes : il lui revient le fardeau de la preuve, en cela qu’il doit prouver ses allégations, et doit prendre en compte le rasoir d’Ockham», répond le chercheur. Le rasoir d’Ockham est un principe de raisonnement fondamental de la science. Il peut se traduire ainsi : À choix entre plusieurs hypothèses, l’hypothèse la plus simple doit être privilégiée. Le rasoir n’indique pas quelle hypothèse est vraie toutefois, elle indique simplement laquelle doit être considérée en premier. « C’est ce qu’il y a de remarquable avec les théories du complot : elles sont bien souvent plus complexes que la version officielle », enchérit Pascal Wagner-Egger. Il est de plus extrêmement difficile d’ouvrir le dialogue avec un ou une complotiste : l’humain déteste s’avouer qu’il a eu tort, il va donc préférer considérer que tou·te·s sauf lui sont dans l’erreur, comme l’explique le professeur : « Si vous dites à un complotiste que sa théorie ne tient pas la route, il va soit prétendre que vous êtes naïf, soit que vous faites partie du complot ».

Pascal Wagner Egger. © Unifr.ch

Internet et patience

Si l’on pouvait penser qu’avec internet et les informations qu’il offre, les théories du complot auraient la vie dure, c’est en réalité tout l’inverse : non seulement les théories les plus farfelues y ont bien leur place, mais elles se répandent aussi beaucoup plus vite. « Avant internet, une rumeur avait un caractère limité, elle s’éteignait toute seule et ne s’étendait que sur une petite région », avance le chercheur avant d’ajouter : « Aujourd’hui, non seulement la rumeur peut toucher potentiellement toute l’humanité, puisqu’en tout temps disponible sur le Web, mais en plus elle ne s’éteint jamais : conservée sur le Net, on peut à tout moment tomber dessus ». Un autre problème posé par le numérique est constitué par les algorithmes qu’utilisent les réseaux sociaux pour sélectionner le genre de contenu qui va être mis en avant lors de la prochaine connexion. Les réseaux sociaux vont d’abord présenter des articles similaires aux dernières lectures de l’utilisateur·rice, ce qui a pour effet de maintenir ce dernier ou cette dernière dans une bulle d’informations. « Si vous lisez un article sur Bill Gates qui tente de contrôler le monde par la 5G, l’algorithme va vous proposer ensuite des articles sur ce sujet, qui vont tous confirmer la théorie que vous venez de lire », explique le chercheur. À cause de cela, les articles lus ne vont être commentés bien souvent que par des personnes prisent au piège de la même bulle d’information. En constatant que beaucoup de personnes partagent cette croyance, l’utilisateur du réseau social aura tendance à y croire lui-aussi, par sentiment d’appartenance à un groupe. « À cela il est important de rappeler qu’une théorie ne se valide pas au nombre de ses adeptes, ni au nombre de ses détracteurs, mais bien aux preuves concrètes que l’on peut apporter », insiste Pascal Wagner-Egger.

En pleine pandémie, une multitude de théories complotistes ont vu le jour. Une situation normale selon le chercheur : « Plongé dans une situation d’urgence, notre cerveau analyse beaucoup plus méticuleusement chaque information officielle relayée dans le but de nous maintenir en vie, mais peut être attiré par les explications alternatives même non vérifiées, qui donnent un (faux) sentiment de comprendre et maîtriser. Après des catastrophes majeures, l’on constate toujours une augmentation de théorie du complot, qui s’éteignent au fur et à mesure que la catastrophe est dernière nous ». En ces temps difficiles, les théories du complot peuvent faire du mal : des sujets comme l’utilisation du port du masque ou le vaccin deviennent parfois de véritables sujets de discorde entre des proches. Un conseil pour aborder le dialogue ? « Une idée serait de demander à la personne en jugeant le moins possible de vous expliquer sa théorie, et les méthodes qu’elle suit pour savoir si sa croyance est bonne ou mauvaise. Si la théorie ou la méthode comprennent des éléments qui ne collent pas à la réalité, cette personne va petit à petit se rendre compte de ses erreurs ou raccourcis. Le but est qu’elle se rende compte elle-même de l’étrangeté de son discours. » De la patience donc, car que nous vivions sur une Terre ronde ou plate, nous devons y vivre ensemble. Alors autant apprendre à dialoguer.

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