Dimanche 9 février, les Suisse·sse·s voteront sur l’extension de la norme antiraciste (art.261 bis CP) à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, afin de protéger les personnes gays et bis. Interview exclusive d’une militante engagée dans la campagne.
À l’origine, l’initiative du Conseiller national Mathias Reynard (PS/VS) devait également inclure la discrimination sur la base de l’identité de genre, ce qui aurait permis de protéger également les personnes trans et intersexes. Au gré des débats parlementaires, cet aspect du projet a été biffé et remis aux calendes grecques. Pour autant, Lucielle, étudiante de 21 ans et membre de l’association fribourgeoise Sarigai, participe à la campagne de tractation en faveur de l’initiative. Nous la rencontrons dans un café du centre de Fribourg.
Avais-tu des a priori avant de commencer la campagne ?
Oui, clairement. Il faut dire que c’est la première fois que je milite et que je tracte. Les rapports d’agressions à l’encontre de personnes LGBT dans la presse ne sont pas faits pour rassurer. Je redoutais un peu les réactions des gens dans la rue, mais au final tout s’est bien passé. On a certes eu un ou deux cas d’attitude déplacée de la part d’« esprits chagrins », mais, personnellement, je n’ai pas été attaquée. Ça m’a permis de reprendre un peu espoir, de voir que les mentalités avaient évolué vers plus d’ouverture, puis d’aller à la rencontre des passant·e·s avec plus de sérénité.
Crois-tu que cette campagne aura gain de cause ?
Je le crois, oui. Les gens dans la rue sont majoritairement positifs ou, au minimum, très neutres au moment où ils prennent le flyer. J’ai plus eu de personnes qui m’ont dit « Ah oui, j’ai déjà voté ou je vais voter « oui » », que de personnes qui ont dit vouloir voter contre. Les commentaires négatifs sont plutôt rares. De plus, les premiers sondages étaient largement en notre faveur, ce qui nous a donné un bon coup de boost [65% en faveur du « oui » selon un sondage Tamedia de décembre 2019, n.d.l.r.].
Pourquoi est-ce important pour toi, en tant que personne trans, de te battre pour le passage de cette loi ?
En général, je vais faire en sorte de participer à toutes les avancées sociales en Suisse, et pas seulement pour les personnes LGBT. Dès le moment où l’occasion se présente de donner un coup de main, je vais la saisir. Ce n’est pas parce que seul·e·s les LGBT sont protégé·e·s par cette loi et que les trans ne sont pas inclus·es que je ne vais pas participer. Malheureusement, la nouvelle loi n’est pas assez large, mais une fois qu’on aura fait ce pas, on aura un argument de plus pour faire le pas suivant.
Quelles sont les perspectives en matière de protection des personnes trans ?
Pour l’instant, il n’y a aucun dispositif légal spécifique, dans la mesure où les discriminations liées à l’identité de genre n’ont pas été incluses dans le dispositif de la loi pour laquelle on va voter le 9 février. Mais je crois comprendre qu’ils·elles vont tenter de faire passer un package législatif en la matière pour ajouter ultérieurement cette protection dans la norme antiraciste. Il faudrait que cela inclue des mesures afin de faciliter les procédures de transition. Pour l’instant, si tu veux pouvoir changer ton état civil pour passer de « Monsieur » à « Madame » sur tes papiers d’identité, tu dois attaquer l’État en justice pour lui faire reconnaître la réalité de ton identité de genre. Et ça coûte, tout le monde ne peut pas se le permettre : rien que changer de prénom coûte entre 150 et 300 francs.
On aurait bien voulu que la protection des personnes trans soit incluse dans le texte de la votation. Mais, dans un sens, passer un bloc législatif à part, ça permettra de sensibiliser la population à la thématique spécifique de la transidentité. Aujourd’hui encore, les gens ne savent souvent pas ce qu’est la transidentité, ils en ont vaguement entendu parler et ils se posent des questions : « Qu’est-ce que c’est ? », « Comment ça se passe ? », etc. À chaque fois que je me présente en tant que personne trans, j’entends ces interrogations. Je les comprends, mais ce n’est pas toujours très agréable d’y répondre, car ça touche à des aspects très intimes. Parfois, tu aimerais juste dire « Bonjour, je préfère le pronom elle », et ne pas être obligée d’approfondir le sujet.
Dans combien de temps peut-on espérer voir ces dispositifs en faveur des personnes trans entrer dans la loi ?
Je ne connais pas forcément dans le détail le fonctionnement de l’État et les arcanes de la politique fédérale, mais on parle pour l’instant d’un délai de deux ans. Pour l’instant, il y a le vote sur la norme antiraciste, et la prochaine échéance devrait concerner l’ouverture du mariage aux personnes homosexuelles. J’imagine que c’est durant cet intervalle qu’on prendra le pouls des forces politiques au sein du nouveau Parlement pour voir les marges de manœuvre pour la protection des personnes trans. Deux ans, donc, a priori. Et c’est un délai qui ne tient pas compte de l’hypothèse d’un énième référendum contre ces mesures, et qui suppose que les politicien·ne·s de certains bords ne parviennent pas à les vider de leur substance.
Quel serait ton message à l’attention des communautés LGBT dans la perspective de ces évolutions législatives ?
J’espère que je les reverrai à nos côtés dans deux ans, cette fois-ci pour militer en faveur des droits des personnes trans.
Site de la Confédération, recommandations de vote, « Interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle » : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20200209/divieto-della-discriminazione-basata-sull-orientamento-sessuale.html.
Tamedia, communiqué du 27 décembre 2019 : https://www.tamedia.ch/tl_files/content/Group/PDF%20Files/Franzoesisch/FR.pdf.
Votation du 9 février : jeunesses de tous les partis, sauf de l’UDC, unies contre l’homophobie, Le Nouvelliste, 14 janvier 2020 : https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/votation-du-9-fevrier-jeunesses-de-tous-les-partis-sauf-de-l-udc-unies-contre-l-homophobie-894091.