Pourquoi refuser un verre d’alcool est-il autant pointé du doigt ? On boit par envie, par choix, par défaut… mais souvent aussi, par obligation.
En suisse, consommer de l’alcool fait partie des mœurs. Il suffit de faire un tour dans le Lavaux pour constater à quel point la boisson est digne du patrimoine. Au-delà de l’héritage culturel, boire de l’alcool est une coutume sociale assumée et acceptée au sein de la population. Tellement qu’elle en devient presque inconsciente. On ne refuse pas un verre proposé par sa patronne, s’abstenir de trinquer en famille ressort de l’insolence, et rester sobre en soirée vaut une attitude coincée et suspecte. Pourtant, l’alcool tue plus de 3 millions de personnes par an dans le monde. Comment cette substance destructrice a-t-elle su se transformer en un fait social certifié ?
Que nous apporte l’alcool, réellement ?
L’alcool s’apparente à un bien de consommation. En réalité, sa fonction est bien plus complexe. Les raisons de sa convoitise vont au-delà de la désaltération et du plaisir gustatif. Boire est un acte collectif et individuel, qui prend place au sein d’un cadre où se construisent les identités, les usages et les symboles sociaux. Boire ou ne pas boire, c’est se définir face aux autres et prendre position. Après une relation avec l’alcool malsaine, Marie* décide de prendre ses distances avec son meilleur ennemi. La pression sociale face à l’abstinence, la jeune femme la subit régulièrement. Mais les normes sociétales disent que la jeunesse qui s’amuse sort et s’enivre. « Mes amies ne font que de m’inciter à boire en me sortant des on ne peut pas s’amuser sans alcool, la mamie avec son thé, tu ne sais pas ce que tu loupes », témoigne Marie.
Portée par un conformisme social et un besoin de désinhibition, la consommation d’alcool est synonyme de fête, de sociabilité et d’assurance… à tort, comme l’affirme Marie. « Je suis bien mieux dans mon corps et ma tête depuis que je suis sobre. Je mentirai en disant que ces remarques ne me touchent pas. Mais ce qui m’agace le plus, c’est de devoir justifier mon choix constamment ». Refuser un verre est vraisemblablement digne d’un débat. On ne justifie plus sa sobriété, mais un comportement contestataire face à la banalité du goulot.
Pourquoi se sent-on obligé·e de boire, au juste ?
Les amalgames sont nombreux : on ne boycotte plus une substance, mais une autorité, une tradition, même une personne. « L’apéro est sacré dans ma famille. Je me force toujours à trinquer par peur de décevoir mon père et de susciter son agacement. Si je ne bois pas, je remets en cause ses valeurs. Il considère cela comme de l’irrespect à son égard », confie Pauline*, âgée de 22 ans. Au travail aussi, l’abstinence peut s’avérer immorale. On partage un verre comme un petit secret, dans un climat de proximité qui favorise les affaires. Jérôme*, 29 ans, connaît bien la chanson : « C’est souvent autour d’un verre que les contrats se négocient. Les barrières professionnelles disparaissent et la confiance s’installe ». Siroter par peur de louper des opportunités… ou de ne pas coller à l’image patriarcale de l’homme d’affaire en costard, un whisky à la main ?
Ce qu’on ne veut plus entendre ×
Prend un verre, ça te décoincera !
Tu ne bois pas ? Y a un problème ?
Tu ne sais plus t’amuser…
C’est du gin de qualité, tu ne risques rien.
Comment y répondre √
Prend une claque, ça te calmera !
Oui ! Toi !
Je sais tellement le faire que boire m’ennuie…
On en reparle demain matin ?
Comment se positionner, alors ?
Explicite ou déguisée, la pression sociale autour de l’alcool n’est pas anodine. Mais avant de la déconstruire, il faut la comprendre. On s’impose parfois cette pression à nous-même. Par peur de la confrontation ou par manque de confiance en soi, cerner la source de l’influence est la première étape pour réagir. Marie* explique : « Je gère les remarques en tentant d’expliquer ma démarche. La sobriété n’est pas une décision superficielle : il y a souvent un vécu semé d’embûches derrière ». Boire est un choix personnel qui ne mérite pas d’être débattu. Respectez vos idéaux avant de céder à ceux des autres, et faites la différence entre ce verre qu’on vous tend et les valeurs qui y sont associées. Sur-ce, santé !
*Prénoms d’emprunt.