Depuis décembre 2019, le coronavirus a perturbé le quotidien de toute la planète. Toutefois, il est impossible de mettre la politique en quarantaine. En Valais, les élections cantonales 2021 ont commencé, dans un climat qui se révèle pourtant très différent des autres années. Darius Boozarjomehri, étudiant en droit à l’Université de Fribourg et membre du parti socialiste valaisan, se présente pour le Grand Conseil valaisan avec l’ambition de lutter contre le racisme, l’extrême droite violente et le sexisme. Il a accepté de nous partager son ressenti sur cette situation particulière.

Darius Boozarjomehri, étudiant en droit à l’Université de Fribourg et membre du parti socialiste valaisan.
  1. Le coronavirus ayant modifié vos habitudes de campagnes, comment pensez-vous procéder cette année ?

Il est évident que les campagnes électorales traditionnelles sont désormais impossibles. Le Parti Socialiste et la Jeunesse socialiste sont des partis de militant·e·s. Le travail de terrain est dans notre ADN, surtout car nous travaillons étroitement avec beaucoup de syndicats (Unia, SSP, etc.) qui, eux aussi, prônent un militantisme actif de leurs membres. Ces restrictions nous touchent donc directement. Habituellement, nous allions dans les fêtes de villages, les assemblés, les lotos, ou nous montions des stands dans les marchés pour payer des verres, serrer des mains et discuter. Nous faisions aussi des distributions de flyers ou des récoltes de signatures pour nos initiatives.

La situation actuelle nous a obligé à réduire drastiquement nos actions. Nous sommes limité·e·s à la distribution de flyers ou à organiser des débats en petit comité. Mais cela nous a rendu·e·s paradoxalement plus mobile. Nous avons dû nous adapter : nous organisons désormais des livraisons à domiciles, de roses par exemples, et nous varions nos moyens de communications. La campagne s’est surtout déplacée sur le domaine numérique et se fait désormais beaucoup en ligne, par des vidéos, des publications et autres publicités sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas fondamentalement nouveau mais ce qui a changé, c’est l’ampleur et les moyens investis dans ces formes de communication.

D’un point de vue personnel, et j’avoue être peut-être vieux jeu mais je préfère le travail dans les rues. Les réseaux sociaux sont connus pour cloisonner les gens dans des cercles d’ami·e·s qui, généralement pensent comme nous et votent pour nous. L’impact d’une campagne sur internet est limité, je pense, sauf si l’on met beaucoup de moyens ou que l’on dispose déjà d’une large audience. En Valais, un Mathias Reynard ou un Serge Gaudin ne jouent ainsi pas dans la même catégorie. L’un ayant un réseau large et actif sur internet, l’autre non. De plus, toute la population n’est pas présente sur les réseaux, ce qui limite l’accès au débat démocratique d’une partie de la population, et représente un problème plus grave selon moi.

  1. Avez-vous l’impression de devoir vous réinventer et de devoir repenser votre programme politique, par exemple en vous positionnant sur les mesures prises durant la crise sanitaire ?

Non je n’ai pas l’impression d’être obligé de me réinventer à cause de la situation. En politique, et c’est cela qui est passionnant, il est nécessaire de toujours se réinventer, surtout dans un parti progressiste et jeune comme le mien. La société évolue constamment, que ce soit par des avancées poussées par la gauche (congé paternité, diminution du temps de travail, droit LGBT) ou des victoires du camp bourgeois et de l’extrême droite. Des causes externes au travail politique nous poussent également à nous adapter. La crise actuelle est un bon exemple. Elle a obligé la gauche à se poser de nouvelles questions sur le statut des travailleurs et travailleuses à distance par exemple. Mais cette crise nous a également conforté·e·s dans nos engagements initiaux. La gauche a toujours milité pour un système de santé fort, social et solidaire, mais également pour un réel filet de sécurité social. Les effets les plus violents de cette crise ont mis en lumière le fait que les préoccupations du PS et de la JS, et notamment sa crainte du démantèlement des institutions sociales et sanitaires voulu par la droite, n’étaient pas infondées. Personnellement, je n’ai pas foncièrement changé mes engagements et mes idéaux. J’ai toujours été pour un état social fort. Je militerai toujours contre le racisme et le sexisme et continuerai à traquer et dénoncer les groupuscules Néo-Nazi qui pullulent en Valais. Mais il est vrai que je suis devenu plus sensible à certaines problématiques, notamment à la place du personnel soignant et à ses conditions de travail.

  1. Comment vous sentez-vous par rapport à cette situation particulière ? Vous réjouissez-vous de faire campagne malgré l’impossibilité d’agir sur la sphère publique ?

Je me réjouis toujours de faire campagne, c’est dans mon ADN. Je ne suis pas un politicien et je ne le serai jamais : je suis un militant politique. J’aime le travail de terrain et le combat pour mes idées. Comme disait Mathéa Meyer, la politique ne commence pas à la porte des parlements. On entend néanmoins souvent certain·e·s politicien·ne·s dépité·e·s dire que cette période est exceptionnelle et qu’elle ne permet pas de faire campagne comme avant. C’est vrai, on ne peut plus faire de campagnes « traditionnelles », néanmoins cette situation n’est plus exceptionnelle. Nous vivons cette crise depuis un an maintenant. En acceptant de se lancer dans la course aux cantonales, nous savions que cette campagne serait différente. Pour ceux et celles qui se disent surpris·e·s, je me poserai des questions avant de glisser leurs noms dans l’urne. En Valais, en septembre se sont déroulées les élections communales, les restrictions sanitaires étaient moindres, néanmoins elles étaient là. J’occupais alors la place de chef de campagne du PS dans mon village, et je peux l’affirmer, la situation actuelle ne diffère pas réellement d’il y a 3 mois. Personnellement je me réjouis de faire campagne, car j’aime ça. Et je reste persuadé qu’il est toujours possible d’agir sur la sphère publique.

  1. Vous étiez déjà en politique lorsque la crise sanitaire a commencé, comment avez-vous vécu cette expérience ?

Vous savez, la politique c’est beaucoup de paperasse en réalité. Les campagnes, actions de terrain et les débats, c’est surtout pendant les campagnes et les votations. Donc mon travail dans les comités n’a pas fondamentalement changé et les réunions ont migré sur Zoom. Mais il est vrai que la façon de travailler est différente. Avant, après une réunion, on pouvait prendre le temps de boire un verre et de discuter, désormais ce n’est plus tellement le cas. Personne n’a réellement l’envie de rester devant son ordinateur après 1-2 heures de réunion juste pour papoter. Ce sont les élu·e·s qui m’ont beaucoup touché·e·s. J’ai la chance d’être l’attaché parlementaire du groupe socialiste au Grand Conseil valaisan. Je suis donc les élu·e·s et les débats, et je me suis rendu compte qu’iels ont beaucoup été affecté·e·s par cette crise. En tant que personne bien évidement mais également en tant que représentant·e· de la population. Nous sommes dans une période où chaque décision concernant le Covid est plus analysée que jamais et il y a eu malheureusement beaucoup de mécontent·e·s. Les élu·e·s en ont souffert directement car iels ont encore grande proximité avec leur électorat. On a plus de chance de croiser un·e élu·e du canton ou du village à la boulangerie du coin qu’un·e conseiller·ère national·e. De ce fait, il n’est pas rare de se faire apostropher, et c’est rarement des félicitations que l’on reçoit. La charge mentale qui repose sur eux·elles s’est accentuée, c’est évident. Iels devaient à la fois faire face personnellement à la situation mais également garder la tête froide afin de prendre les décisions qui s’imposaient. C’était très compliqué. Le débat est devenu bien plus émotionnel, plus dur aussi. L’urgence, la détresse et le danger, tout cela s’est ressenti au parlement valaisan. On a tendance à dire que les politicien·ne·s sont des gens déconnectés de la réalité et j’ai pu constater que ce n’est pas le cas. J’espère, si je suis élu, être capable de faire face également. Mais bienheureux celui qui peut assurer l’être, je pense.