La transidentité est un sujet complexe dont il est essentiel de discuter avec les termes adéquats. Interview d’une personne concernée.

« Quel est votre ancien prénom ? » et « Pourquoi changer de sexe ? ». Deux questions erronées que l’on retrouve fréquemment dans la manière dont la presse parle de la transidentité (preuve : mon correcteur word ne reconnait pas l’existence de ce mot). Or, si l’on prend le temps de s’arrêter et d’en discuter avec les personnes transgenres, ces deux questions se révèlent contradictoires dans la définition même de ce qu’est la transidentité. En effet, il ne s’agit pas d’un ancien corps ou prénom, puisqu’une personne transgenre est née dans un corps et genre qui ne lui correspondent pas. Il semble donc essentiel d’apprendre à appréhender la transidentité de manière adéquate. Pour ce faire, nous avons posé quelques questions à une personne se trouvant dans cette situation.

© Antoine Bouraly.
  1. Que ressentez-vous lorsque l’on vous demande de révéler le prénom qui ne correspond pas à votre identité ?

Insulté est probablement le mot le plus exact. Cela trahit ce que la personne pense de moi : que je suis moins un homme qu’un homme cis car j’ai un passé « féminin » que l’on cherche à déterrer avec cette question. C’est une information superflue qui n’apporte rien à la conversation, sauf nourrir une curiosité perverse mal placée.

  1. Comment pensez-vous que les médias influencent le rapport de la société sur les questions transidentitaires ?

Je pense que beaucoup de médias, qui cherchent à bien faire en parlant de la transidentité, font en réalité plus de mal qu’ils ne le pensent en renforçant malgré eux les aprioris que peuvent avoir les personnes cisgenre, comme l’idée du « avant/après » ou certains stéréotypes (par exemple, l’idée que les personnes transgenres détestent leurs corps et sont misérables à cause de la transidentité). C’est embêtant car, aussi inoffensif que cela puisse paraître, toutes ces bavures laissent des sous-entendus qui sont facilement détournés par les gens qui veulent activement faire du mal à la communauté trans (par exemple : « ce n’est pas un vrai homme/femme car il/elle n’est pas né ainsi » ou « faciliter l’intégration des personnes transgenres va pousser nos enfants à détester leurs corps et se suicider »).

  1. De quelle manière estimez-vous qu’il faille présenter ces sujets ?

Premièrement, je pense qu’il est capital de non seulement demander directement aux personnes transgenres comment elles veulent être représentées, mais aussi d’écouter leurs réponses car les porte-paroles de la communauté parlent de ces sujets depuis des décennies. Personnellement, je ne veux plus voir d’interviews commençant par des morinoms[1] ou des mégenrages[2] lorsque l’on parle du passé des personnes trans (et ce, même si elles ont transitionné récemment) : on s’en tient à leurs prénoms d’usage et à leurs pronoms, point barre.

  1. Avez-vous la sensation que les gens ont des connaissances lacunaires à ce sujet ? Et, si oui, de quelle manière notre société peut-elle changer ce phénomène ?

Absolument, je tire de ma propre expérience que, lorsque j’aborde la question trans avec des personnes peu versées sur les sujets LGBT+, elles me demandent systématiquement de clarifier : « une femme trans, c’est il, ou elle du coup ? ». Si le public est déjà confus à cette simple étape, il est évident qu’il est impératif de ne pas rendre l’eau plus trouble à renfort de « Il était une femme avant » et de changement intempestif de pronom pour parler de la même personne à différentes étapes de sa vie. Je pense aussi qu’il faut que l’on fasse un effort conscient pour divorcer le sexe biologique et le genre dans nos conversations de tous les jours, que l’on parle de personnes trans ou non, afin d’aider à faire disparaître la confusion (et l’obsession) vis-à-vis du sexe de naissance des personnes transgenres.

  1. Qu’aimeriez-vous voir changer en 2021 ?

J’aimerais que l’on commence à parler de la question transgenre en prenant en compte que l’on parle d’êtres humains, de se rendre compte que nos mots ont des conséquences bien réelles sur la vie de milliers de personnes et qu’il ne s’agit pas juste d’un concept nébuleux sur lequel débattre. C’est un concept simple, mais qui, je pense, ferait toute la différence dans la plupart des conversations sur le sujet.

Cette interview témoigne d’un élément essentiel, la désinformation. Et quand on ne connait pas un sujet, il nous inquiète. Ainsi, je pense que la plupart des rejets, voire des violences, viennent de ce problème qui pourrait se résoudre relativement facilement. Comment se fait-il qu’en 2021 ces questions essentielles ne soient pas approchées dans l’enseignement primaire et secondaire ? On pourrait d’ailleurs proposer la même réflexion pour toutes les thématiques LGBT+, la problématique sexiste ou raciste. L’école, ce n’est pas simplement enseigner à nos enfants les mathématiques ou l’anglais, c’est aussi leur apprendre à réfléchir au monde qui les entoure et les amener à l’envisager d’une manière qui le respecte réellement.

Ainsi, si vous souhaitez vous renseigner sur les questions de genre, un magnifique documentaire, diffusé sur Arte, est sorti en 2020, Petite fille de Sébastien Lifshitz, qui nous offre la chance de comprendre dans l’intime ce que représente le fait d’être né dans un corps qui ne correspond pas à la personne qu’on est. Il propose une réflexion sur les violences transphobes et exprime ainsi les raisons pour lesquelles il est donc nécessaire d’apprivoiser ces questions et, précisément, d’apprendre à en parler.

[1] Prénom d’état-civil abandonné par une personne (notamment transgenre).

[2] L’action de désigner une personne par un genre qui ne lui correspond pas.