Malgré une sélection peu diversifiée, Friscènes convainc grâce à une remarquable pièce d’ouverture. Plongée dans la cinquième édition du Festival international de théâtre de Fribourg.

« Il y a vingt ans, j’ai été invité à faire une traversée de l’Atlantique Sud en catamaran. Nous ne sommes jamais arrivés. Notre navire a été attaqué par un cachalot qui a détruit notre embarcation ». C’est avec un poignant récit de survie en haute mer, retranscrit en pièce de théâtre, que l’acteur suisse Jacques Michel inaugure la cinquième édition de Friscènes, le fameux Festival international de théâtre de Fribourg. Les amateurs verront se succéder du 16 au 21 octobre pas moins de dix pièces dont six sont en compétition. A l’issue du concours seront remis les prix de la meilleure actrice, du meilleur acteur, de la meilleure pièce et de la meilleure mise en scène. Seule ombre au tableau : le festival ne présente cette année qu’une seule pièce non-francophone en compétition. De quoi sérieusement écorner la réputation internationale de l’évènement. Quant au jury, composé de Jacques Michel, Sidney Ali Mehelleb et Marianne Radja, il ne rassemble lui aussi que des personnalités francophones.

Un One-Man Show téméraire

Qu’à cela ne tienne, l’ouverture des festivités s’est faite mardi soir dans la bonne humeur. « L’année de la baleine », sorte de One-Man Show mettant en scène Jacques Michel durant soixante minutes, qui réussit le pari de fasciner le public. Son atout principal consiste sans doute dans l’aspect véridique des évènements relatés. En effet, entreprenant en 1991 une traversée de l’Atlantique en catamaran, Jacques Michel et deux amis sont confrontés au naufrage de leur embarcation. Naufrage provoqué par un cachalot agressif cousin de Moby Dick, qui répète à trois reprises ses attaques destructrices sur les voyageurs. Dérivant à la merci de l’océan, les trois hommes sont finalement recueillis par le «Taise Maru», un cargo japonais transvasant les prises des tonniers japonais dans les mers de l’hémisphère Sud.

«L’année de la baleine» est le récit de l’attaque et du naufrage, mais aussi celui du traumatisme qu’en gardent les trois rescapés, sauvés in extremis de la mort en haute mer. L’agression inexpliquée du cachalot les laisse dans l’incompréhension, la colère, l’angoisse, la tristesse; leur survie miraculeuse dans la joie et l’incrédulité. Le tourbillon émotionnel les porte même à personnifier leur agresseur. Le cachalot anonyme devient «Ralf», tantôt monstre marin diabolique et assassin, tantôt «gentleman des mers», protecteur d’une famille de baleines effrayée par le catamaran. Bientôt, souvenirs et réalité s’entremêlent et laissent le narrateur dans une solitude déboussolée, poursuivi dans ses rêves par le Léviathan.

La mise en scène de «L’année de la baleine» réussit habilement à contourner les récifs de ce genre de témoignage. La narration est soutenue par une bande-son alternant musique classique et compositions contemporaines, ainsi que par des jeux de lumière. Le décor minimaliste, quant à lui, concentre l’attention du public sur le compte-rendu.

« La vie est faite de centimètres »

Un autre élément intéressant de la pièce tient du langage utilisé par Jacques Michel pour illustrer son histoire. Toujours rythmé, celui-ci reprend les enregistrements authentiques pris par le naufragé lors du voyage. Oscillant entre prose soignée et parler populaire, répétant en cadence et avec ironie les tics verbaux (« ça va tout seul » ; « tout va bien » ; « un superbe coucher de soleil ») et semant les proverbes faits maison aux quatre vents (« La vie est faite de centimètres » ; « la terre, c’est d’abord de la flotte » ; « nous, on est des popcorns à côté » ; « c’est bonnard, l’eau ! »).

Au-delà de ces quelques pépites philosophiques, qui témoignent autant de la détresse psychique de l’auteur après le drame que de la virtuosité de la mise en scène, la pièce se révèle toutefois plus noire qu’humoristique. Les rires des spectateurs gardaient mardi soir un accent de pudeur.

=> « L’année de la baleine » de Jacques Michel et Véronique Ros de la Grange par Où sommes-nous ?

Blaise Fasel