Les questionnements et la peur suscitée par la votation du 9 février dernier ont encouragé plus de 12’000 personnes à venir manifester sous les fenêtres du Palais Fédéral lors des délibérations du 1er mars. Une foule hétéroclite regroupant associations, tout-venants et politiciens, témoigne.

Les tracts, badges, affiches et autres banderoles fusent de tous côtés à qui arrivera à démontrer qu’il a le plus de partisans. Le sérieux du sujet n’empêche toutefois pas l’ambiance bon-enfant et les mines indignées se perdent dans la masse de sourires et d’yeux qui pétillent. Exactement 20 jours après les votations du 9 février, la manifestation organisée à Berne devant le Palais Fédéral, alors que les conseillers délibéraient, démontrait  que le tollé suscité par l’acceptation de la loi «contre l’immigration de masse» au sein de la petite patrie suisse ne s’était pas faite attendre chez les étudiants. Les répercussions outre-frontières ne sont pas non plus restées lettre morte: gel des accords Erasmus ainsi que ceux concernant Horizon 2020.

Italophones, germanophones, francophones et autres accents de divers pays étaient présents. Des associations telles que l’UNIA, l’UNES, les Verts, le PS ou encore le VSUZH et l’AGEF n’étaient pas en reste et se côtoyaient sans pour autant se mélanger. Chacun ses causes à défendre comme on pouvait s’en rendre compte devant les panneaux et drapeaux soutenant chacun d’autres demandes.

UNES et AGEF main dans la main

L’Union des Etudiants Suisses (UNES) qui était sur le site de la manifestation a pris part au très vaste comité d’organisation (cf. Liste exhaustive sur www.offen-und-solidarisch.ch) et a également activement participé à la distribution d’affiches autocollantes soutenant les accords d’échanges pour les étudiants et la recherche. «Nous sommes là pour ouvrir la porte à des solutions et non pour nous opposer à ce qui a eu lieu» assène Tatiana Armuna, membre du comité exécutif de l’UNES. Même son de cloche du côté de Léa Oberholzer et de Mélanie Glayre, membre de la Direction de l’UNES : «Ce n’est pas contre l’UDC que nous manifestons, mais contre le manque de solutions proposées qui, au final, montre que la formation et la recherche peuvent être considérées comme des dommages collatéraux.»

L’UNES n’était pas la seule association étudiante présente. L’association générale des étudiants de l’Université de Fribourg (AGEF) était aussi de la partie. La décision, tombée le 28 février, a été prise lors d’un vote par correspondance avec une majorité évidente du CE (ndlr : Conseil législatif des étudiants de l’Université de Fribourg). C’est ainsi que le comité exécutif a pu participer à cette manifestation au nom de l’AGEF. «Il y a une grande volonté de montrer au monde politique que le monde estudiantin se mobilise, explique Celia Barell, membre de l’exécutif de l’AGEF. Nous souhaitons une continuation des possibilités de formations et de recherches à et avec l’étranger». La question d’une action sur le sol fribourgeois a aussi été discutée au sein du comité, mais il en est ressorti que le souhait devrait venir des étudiants eux-mêmes. Celia Barell précise que de l’aide et des moyens seront mis à disposition si un ou des étudiants le souhaitent, ABE.

Représentation individuelle en masse

Les partis et les associations ne sont pas les seuls à être venus soutenir leurs revendications. Des particuliers, représentants du troisième âge, familles et jeunes de tous bords, étaient également présents, sans pour autant se reconnaître une appartenance à une des organisations présentes. Une maman et sa fille sont par exemple venues du Valais pour participer. «Une mauvaise transmission des informations par les partis est un gros problème, selon moi, confie la maman. Une invalidation du vote si des solutions viables ne se profilent pas très rapidement serait une bonne chose».

Certains politiciens et anciens conseillers nationaux se promènent aussi dans la foule et passent d’interview en interview. Joseph Lang, ancien conseiller national des Verts et aussi co-organisateur de la manifestation, détendu et souriant témoigne : «J’attends des individus qu’ils luttent contre les discriminations et pour les Suisses sans passeport suisse, pour une Suisse ouverte et solidaire qui vit et montre qu’elle existe». Il évoque également des étudiants qui, à son avis, ont réalisé trop tard qu’ils seraient les premiers touchés par la vague de conséquences. Si le vote est remis en cause par le PS et d’autres individus, Joseph Lang soutient que «la démocratie a parlé et ce n’est pas à la votation qu’il faut s’attaquer». Il souhaiterait surtout que le prochain choix qui s’offrira  au peuple suisse concernant la volonté de continuer ou non avec les accords bilatéraux aille dans le sens de l’ouverture.  Pour ce qui est des solutions envisageables et des tractations avec l’Europe, étant dans une optique de «Nehmen und geben», Monsieur Lang propose d’accepter la Croatie dans les accords et de demander, sans que cela soit une condition, le maintien des accords d’échanges universitaires.

Il est 15h30 et la manifestation se termine après plusieurs discours dont celui d’Irène Ruffieux, ancienne étudiante en média et communication à Fribourg ayant participé au programme Erasmus, ainsi qu’un petit concert. Les gens se séparent et rentrent chez eux, seuls quelques incorruptibles se retrouvent pour faire le point sur la journée. Sur le chemin de la gare, des drapeaux pliés. Quelques tracts s’éparpillent encore sur la route. La vie reprend son cours, mais les interrogations demeurent. La résolution du conflit d’intérêt avec l’Europe espérons-le, trouvera une issue heureuse pour les deux partis.

Manifestation 1er mars (prise et modifiée par Victory Jaques)

Suite à cette votation et la manifestation de Berne, gageons qu’une amélioration des conditions qui ont encouragé certaines personnes à voter «pour» cette initiative, alors qu’elles ne se positionnaient pas contre les immigrés mais avaient dans l’idée de donner un signal, trouvera écho. Plusieurs étudiants confient avoir voté «pour» en pensant que «cela ne passerait de toute façon pas» et «qu’il fallait lancer un signal de détresse» (cf.http://www.swissinfo.ch/fre/politique_suisse/Le_cri_de_revolte_de_la_Suisse_italienne.html?cid=37944310). La question de l’acceptation de cette votation sans pour autant remettre en cause la démocratie se pose elle aussi. Une moitié du peuple qui avance tout en muselant l’autre moitié, ne serait-ce pas là le début de la fin de l’harmonie suisse?

Victory Jaques