Spectrum a assisté au dernier événement de Foraus (forum de politique étrangère) le 26 octobre dernier. Ce laboratoire d’idée est présent dans plusieurs cantons, ainsi qu’au niveau fédéral. Retour sur la conférence.

Le politicien et historien fribourgeois Bernhard Altermatt était présent pour modérer la discussion entre Hélène Agbémégnah, représentante de Travail. Suisse dans la Commission fédérale des migrations, Samuel Jordan adjoint de la déléguée cantonale à l’intégration des migrations et Océane Gex membre de la Commission des naturalisations de la commune de Fribourg.

Le grand défi de l’intégration à Fribourg

Plusieurs défis d’intégration se profilent à l’horizon selon les intervenants de la soirée. Tout d’abord, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la naturalisation au 1er janvier 2018 va demander un effort d’adaptation à la Commission dont fait partie Océane Gex.

Selon Samuel Jordan, le plus grand défi est la coordination des différents acteurs de l’intégration des migrants. Il y a beaucoup d’associations qui font un travail remarquable, en commun avec l’Etat. Il faut aussi faire comprendre aux gens que la migration est une chance et non une fatalité.

Aux dires d’Hélène Agbémégnah, le défi actuel se situe dans la politique extérieure. En effet, comment concilier les accords bilatéraux avec l’art. 121a de la Constitution fédéral (ndlr : inscrit dans la Constitution suite à l’initiative populaire « Contre l’immigration de masse ») ? Mais surtout ne pas oublier que des êtres humains sont en jeu. Certains migrants sont des enfants, d’autres sont âgés, parfois ils sont entrés illégalement en Suisse.

Comment définir l’intégration ?

Aucun article de la loi ne définit l’intégration. C’est à la fois un critère pour rester en Suisse ou se faire naturaliser, un moyen et une fin en soi. Ce critère peut bien-sûr être fluctuant.

Pour la Commission des naturalisations fribourgeoise, l’humain est au centre des préoccupations. La personne doit faire des efforts d’intégration, montrer son envie de devenir suisse et sa motivation. La « perfection » du candidat n’est pas requise. Par exemple, une personne ayant eu un retrait de permis de trois mois pour excès de vitesse mais travaillant et parlant couramment français peut obtenir le passeport suisse. Les suisses, eux non plus, ne sont pas toujours de parfaits concitoyens.

Le bilinguisme fribourgeois, chance ou handicap pour l’intégration ?

Pour les trois intervenants de la soirée, le bilinguisme change peu de choses pour les migrants. D’après Samuel Jordan, c’est une question de logique, une personne s’installant en Singine va apprendre l’allemand et une personne s’installant en Gruyère, le français. Bien sûr, on ne demande pas aux migrants d’apprendre deux langues à la fois ! Pour Océane Gex, le critère le plus important est la maîtrise courante d’une des deux langues.

Quelle est l’importance de l’activité professionnelle dans l’intégration ?

Le travail est un des principaux vecteurs de l’intégration. Le fait de rencontrer des collègues et de participer à la vie de la société est essentiel. Pourtant, dans certaines situations, il n’est pas un critère fondamental. Tout d’abord, en fonction de l’âge de la personne. On ne demande, par exemple, ni aux enfants ni aux retraités de remplir ce critère. Ensuite, il existe des situations où on ne peut pas exiger que la personne travaille. Tout particulièrement pour les femmes qui n’ont reçu aucune éducation dans leur pays d’origine et qui restent à la maison pour s’occuper de leurs enfants. Malgré cette absence d’activité professionnelle, elles arrivent à apprendre la langue et à nouer des contacts avec les habitants. Elles fournissent donc un effort d’intégration conséquent.

Quelques fois, l’envie d’obtenir un poste de travail est une motivation à devenir suisse. Pour beaucoup d’aspirants à la naturalisation, la nationalité suisse est un plus sur le CV.

Rappelons qu’en Suisse le travail a une valeur essentielle, une personne sans travail est très vite marginalisée, peu importe qu’elle soit suisse ou migrante.

Comment intégrer les personnes arrivant en Suisse sans aucun bagage scolaire mais qui sont en mesure de travailler ? Faut-il les asseoir sur les bancs de l’école ? Souvent, cette solution ne leur convient pas car ces adultes n’ont jamais appris à rester assis pendant toute une journée, et ont de la peine à rester concentrés. La solution la plus adaptée est donc de les intégrer directement dans le monde du travail. Au contact de leurs collègues, ils apprendront plus facilement la langue.

De nombreuses associations privées dédient leurs activités à l’intégration des migrants

Ces associations sont soutenues par le canton. Elles doivent prouver leur efficacité pour être subventionnées. La tâche, qui consiste à coordonner leurs activités, n’est pas aisée. C’est la mission de la déléguée à la cohésion sociale. Elle doit aussi accueillir les nouveaux arrivants.

Les Portugais : la communauté étrangère la plus présente en Suisse

En ce moment, même si la crise syrienne est très médiatisée, la communauté la plus présente en Suisse est la communauté portugaise. Il y a 23 pourcent d’étrangers en Suisse mais 30 pourcent des travailleurs sont des étrangers ! Contrairement à ce que veulent faire croire certains partis politiques, les étrangers sont essentiels à notre économie.

Les processus en matière d’asile ou de naturalisation sont très longs, est-ce bénéfique ?

Le processus en matière d’asile est à améliorer. Il faudrait permettre aux gens d’apprendre la langue plus rapidement, pour qu’ils se sentent mieux intégrés et qu’ils puissent trouver un travail rapidement. Pour ce qui est du processus de naturalisation il y a deux écoles : certains voient la naturalisation comme une récompense après une intégration excellente, pour d’autres il s’agit d’encourager la personne à parfaire son intégration.

Quel est le but final de l’intégration ?

Il faut viser le bien-être de la personne, la cohésion sociale, le développement économique. C’est une nécessité démocratique que de poursuivre un but d’intégration des migrants. La Suisse vit depuis longtemps avec des différences culturelles, il faut continuer sur cette voie.

Pour aller plus loin :

Vous vous intéressez aux échanges interculturels ? Spectrum vous propose un petit tour d’horizon des associations qui les favorisent.

Association Passerelle : Cette association a pour but de sortir les migrants de l’isolement et de favoriser les échanges interculturels. Elle propose des activités ouvertes à tous comme des cours de yoga ou de danse. Vous pouvez aussi assister aux projections des matchs de la Champions League.Adresse : Rue de Locarno 3, 1700 Fribourg.

Association Livr’Echange : C’est une bibliothèque interculturelle. Cela vise à valoriser la découverte d’autres cultures grâce aux livres. L’objectif est aussi de permettre aux enfants issus d’autres cultures d’apprendre à lire dans leur langue. Il y a des activités organisées comme des cours de conversation gratuits pour échanger sur la vie en Suisse, en français et en allemand. Mais également des activités pour les enfants en âge préscolaire. L’association collabore avec les écoles italiennes et espagnoles de Suisse pour leur prêter des livres. Des points d’emprunt de livres sont élaborés dans les quartiers pour que les enfants puissent emprunter les livres sans avoir besoin d’aller en ville (ex. Villars-Vert). Cette association repose uniquement sur le bénévolat.

Association Livr’Echange, le site officiel

La Red : C’est une maison de rencontre entre les migrants et les suisses. Les activités sont très variées car le programme n’est pas défini à l’avance par des responsables mais par les bénévoles qui proposent des activités. Par exemple, vous trouverez des cours de langue (français, allemand, mais aussi arabe), des ateliers manuels ou des cours de théâtre. Les bénévoles sont nombreux et se réjouissent toujours d’accueillir de nouveaux membres.

L’association La Red, le site officiel

Espaces femmes : C’est un lieu de rencontre, uniquement pour les femmes, qu’elles soient migrantes ou non. Vous y trouverez aussi des cours de langues, mais surtout un espace de développement personnel pour les femmes.

Espaces femmes, le site officiel

La Croix-Rouge : L’antenne fribourgeoise de la Croix-Rouge propose tant des cours de langues, encadrés par des bénévoles formés pédagogiquement, que des cours d’éducation civique. Les migrants trouveront de l’aide dans plusieurs domaines, notamment la santé ou l’administratif, grâce à différents services proposés par l’association. L’association est constamment à la recherche de bénévoles prêts, notamment, à enseigner l’allemand ou le français.
La Croix-Rouge, le site officiel

Crédits Photo : Lucie Besson