Déterminée à engager sa transition, l’Afrique, éternelle sujette à débâcles géopolitiques, prise à partie pour ses matières premières, évolue à sa façon. Analyse des actualités récentes avec Mikael Dassi: tensions géopolitiques, élections RDC, médias, Chine et perspectives futures.
Tout d’abord et pour présenter le personnage, Mikael Dassi est ingénieur en communication et Président de la Fédération des Jeunes Socialistes de Côte d’Ivoire ─ parti de l’opposition à l’actuel gouvernement. Il est aussi co-fondateur et coordinateur du Comité International pour la restauration de la démocratie en RDC créé en mars 2018. Autre caractéristique de notre interviewé ? Il réside depuis trois mois à Casablanca, « pour mettre ma vie en sécurité et faute de pouvoir exprimer mes engagements, qui plus est à l’encontre de certaines exactions du gouvernement en place » mais aussi faute de pouvoir exercer son activité professionnelle ; entrepreneur (ndlr. Cette double casquette est usuelle et les entraves à l’exercice d’une activité professionnelle fréquentes en cas de désaccord avec le pouvoir en place). Détail soulignant à quel point l’économie en Afrique est (re)définie par le gouvernement en place. Sur le continent et pour contraster avec l’Europe, le pouvoir est d’abord politique. Une belle pioche en cas d’accession à la présidence qui se traduit en un beau trou (plutôt bien noir et bien profond) pour les indociles. Plus sérieusement, le constat de Mikael est clair, « l’Afrique a besoin de plus de liberté, de respirer politiquement pour pouvoir avancer » et, de plus en plus, « la vie politique africaine change avec une population assez jeune et très exigeante vis-à-vis de ses dirigeant∙e∙s ».
Systèmes politiques européens lorgnés
La démocratie est souhaitée. Mikael souligne d’ailleurs l’étape franchie en RDC « la récente passation de pouvoir conclue par une poignée de mains amicale entre le président sortant et le nouvellement élu est un grand pas, une prouesse inédite en RDC et au-delà en Afrique, où l’on est habitué à la conservation du pouvoir de façon dictatoriale par les dirigeant∙e∙s ». Car bien que la Chine se soit implantée comme le partenaire économique principal du continent, supplantant les anciennes colonies, l’inspiration politique est européenne : « la liberté d’expression, de manifestation et d’association sont des valeurs européennes et toutes indispensables à l’Afrique ». L’Europe reste un modèle de réussite en politique, malgré le recul manifeste de la puissance de ses partenariats économiques. Quelles sont les manœuvres urgentes pour y tendre, à cette liberté ? « Pour être tout-à-fait factuel, il faut une séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. Que le pays, son économie, ne vivent plus au rythme du chef de l’Etat. Encore actuellement, il agit en petit Dieu et a le droit de vie ou de mort sur ces concitoyens ». Comme nous l’avons vu en Afrique du Nord en 2012 ─ avec des résultats mitigés, certes ─ et comme l’exerce la France actuellement (#metstongilet), les réseaux sociaux sont vus, par Mikael, comme un tremplin démocratique pour l’Afrique : « Le soulèvement du peuple burkinabé contre le Président d’alors, Blaise Compaoré, est un exemple de réussite en ce sens, il est la symbolique du fait que les populations africaines ne sont plus prêtes à se voir imposer des dirigeant∙e∙s » (ndlr. En 2014 celui-ci souhaitait mettre fin à la limite du nombre de mandat pour se maintenir au pouvoir). « L’accès à l’éducation évolue, internet et donc l’accès à l’information aussi. Ces éléments, essentiels à l’émancipation, à plus de démocratie, amorcent une prise de conscience collective ».
Actualités récentes VS. médias européens
Dernier feuilleton en date ? L’ancien président de son pays, Laurent Gbagbo, a été acquitté mi-janvier par la CPI (avant même l’écoute de la défense) jusque-là et depuis 2011 en préventive à la Hayes pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes économiques. Autre fait récent dans la région ? L’élection présidentielle de Félix Tshisekedi en RDC, première passation de pouvoir pacifiste du pays. Jugée par la presse européenne comme non-démocratique, indiquant une ─énième─ falsification des votes électoraux. Le liant de ces deux histoires, me demanderez-vous ? Mikael me dit remettre en question l’ingérence européenne dans certains dossiers africains « aucun pays africain ne remettrait en question les élections des pays occidentaux. La subjectivité des médias européens est parfois lourde d’évidences ».
Le paradoxe tout africain
L’accaparement des terres riches en or, pétrole, terres rares et autres ressources cardinales aux « techindustries » est énorme. Qui plus est pour l’Afrique francophone (les chiffres exacts sont difficiles à trouver mais le problème est connu) avec 2,8 millions d’hectares sur 80 millions de terre arable uniquement par une entreprise chinoise en RDC selon le rapport d’une ONG. Paradoxe par excellence, elle est accessoirement la plus riche en matières premières mais aussi la plus pauvre du continent. L’Afrique est construite sur les bases coloniales établies le siècle dernier (pour nommer arbitrairement quelques reliques européennes : Feronia, Gécamines, Total, BP, Glencore, …). Le monopole économique et politique des anciennes puissances coloniales occidentales s’effritent toutefois. Globalisation bonjour. Bien qu’ancrées militairement, le jeu économique s’est détourné de ces dernières pour l’Est et plus précisément la Chine. Est-ce le tocsin du déclin des monopoles post-coloniaux ? Pillant (échanges commerciaux de matières premières en deçà de leur valeur marchande) grâce à d’incessantes déstabilisations des gouvernements en place.
Refus du fardeau de l’histoire
Un autre élément frappant : son pragmatisme. La puissance africaine veut se défaire des balises de l’histoire et a pour mot d’ordre « stimuler les coopérations à l’échelle internationale. C’est notre première volonté » affirme Mikael. Il observe que « la nouvelle vague de dirigeant∙e∙s africain∙e∙s est prête à travailler avec qui aura des offres alléchantes pour les peuples africains ». Certes les guerres ethniques, religieuses et les enjeux géopolitiques restent des freins d’actualité. Mais oser la diversification des exportations et des relations entretenues à l’échelle internationale, la démocratisation de l’éducation et d’internet ─ malgré un bref mais conséquent retour en arrière dans les années 90’s dû aux guerres civiles (p.175) ─ , sont autant de ressources à disposition pour une transition, une disruption que dis-je, des habituelles phases d’industrialisation.
Crédit photo : Mikael Dassi