Dans le cadre des 50 ans de Temps présent, l’équipe de l’émission part en cette rentrée à la rencontre des gymnasien·ne·s de Suisse romande. L’objectif : discuter du rôle des médias à l’heure des fakes news et des rapports entre Temps présent et la jeune génération.
Nous avons assisté au débat organisé le 8 octobre au collège St-Michel. Face aux étudiant·e·s, Jean-Philippe Ceppi, producteur et présentateur de Temps présent et Cédric Louis, réalisateur d’une émission du cycle des 50 ans consacrée aux migrants italiens. À la modération, Tania Chytil, journaliste et directrice de RTS Découverte. C’est parti !
Contre les populismes et les autocrates
Jean-Philippe Ceppi ouvre la discussion sur un constat hélas terriblement familier. Il rappelle comment les populismes passés et présents font leur lit des attaques contre la presse, suscitant une défiance populaire dont ils se servent pour accéder au pouvoir. Le présentateur n’hésite pas à souligner comment Hitler, mais aussi Rodrigo Duterte, délicieux président des Philippines, ont tous deux accédé aux fonctions suprêmes par des votes démocratiques – avec même 6,1 millions de voix d’avance pour ce dernier.
Or il se trouve justement que les Philippines sont devenues le terrain d’expérimentation favori du groupe Facebook, qui y teste ses nouveaux algorithmes avant de les diffuser au niveau mondial. Ce qui pose la question cruciale du rôle des réseaux sociaux, dont le modèle économique est bien éloigné de la recherche de la vérité. « Ces fameux algorithmes sont conçus pour vous reproposer automatiquement des contenus qui vous plaisent », souligne Jean-Philippe Ceppi. « L’idée, c’est de faire de vous des consommateur·rice·s captif·ve·s et (…) de vendre vos données à des annonceurs ». Un parfum suave de 1984. Il conclut : « Un peuple informé, c’est un peuple qui ne laisse pas la voix aux populismes et aux autocrates ».
Deux angles : les migrations et les médias
Le débat se déroule en deux temps. Durant la première heure, les participant·e·s échangent autour d’une émission consacrée à la migration italienne (retrouvez le lien ci-dessous). Le sujet est très convenu dans notre société maladivement obsédée par les migrations. Il faut aussi dire que, comme le souligne Nicolas, « la migration italienne, de nos jours, ce n’est plus tellement le sujet le plus préoccupant ». En effet : le Rital de Claude Barzotti, ça remonte à 1983. De fait, l’équipe de Temps présent a proposé à l’équipe enseignante de traiter l’une des cinq émissions du cycle des 50 ans et d’en faire un marchepied vers une discussion plus large sur les médias. Pour le directeur, Sébastien Uldry, le choix de ce reportage allait de soi, car la migration est un sujet fédérateur. Soit. Mais cette amorce achoppe sur un écueil auquel il fallait s’attendre : la discussion tourne surtout autour de l’immigration. Certaines questions ignorent complètement l’aspect média.
On entre dans le vif du sujet durant la deuxième heure. On évoque les coupes budgétaires de la RTS et leurs conséquences pour la production de Temps présent, qui va devoir recourir plus souvent à l’achat de reportages. On s’interroge sur l’avenir professionnel au sein du journalisme. Pour Jean-Philippe Ceppi, nous vivons une période d’innovations : les jeunes d’aujourd’hui, avec des plateformes comme Youtube, peuvent créer plus facilement des contenus originaux. Il cite également le cas de Mediapart, qui a récemment créé l’évènement en plaçant sa rédaction sous la protection d’une fondation ad hoc. Tania Chytil sort un moment de son rôle de modératrice pour discuter des formats alternatifs, comme la chaîne Youtube du Grand JD ou de Tataki. Cédric Louis décrit l’aspect humain qui entoure la production d’un reportage réalisé dans un établissement psychiatrique. On pose aussi la question de l’objectivité : comment une émission fondée sur une forme assumée de storytelling présente-t-elle le vécu des personnes qui apparaissent à l’écran ?
Un format perfectible pour une démarche nécessaire
Le format choisi pour À vous le studio ! est assez convenu : un public large d’élèves face à un nombre réduit d’intervenant·e·s sur la scène. Cette configuration contribue certainement au manque de structure de la discussion, malgré des questions pertinentes. On a aussi le sentiment de passer à côté de sujets essentiels. Les réseaux sociaux sont évoqués, mais de manière diffuse au cours du débat. Les techniques de décryptage de l’information ne sont quant à elles pas abordées.
On aurait pu souhaiter une approche plus innovante. Par exemple, des groupes de travail de quelques élèves sous la houlette d’un membre de l’équipe, chargé·e·s de réfléchir à un sujet et de présenter leurs conclusions, soumises à la critique et aux questions des autres participant·e·s. Mais on bute alors sur un autre problème : le temps. Deux heures, c’est long, mais c’est aussi peu pour approfondir. De plus, le timing de l’évènement a laissé peu de temps à la préparation : l’invitation de Temps présent est arrivée durant l’été.
Malgré ces bémols, il convient de saluer la décision de la direction de participer à À vous le studio ! D’autant que le collège St-Michel est le seul établissement fribourgeois à avoir répondu favorablement au projet. Il faudrait également saluer l’initiative de l’équipe de Temps présent. Au terme de ce cycle de débats, elle aura accumulé une expérience importante dans cet exercice nécessaire qu’est la sensibilisation du jeune public aux médias. Gageons que la RTS s’en saisira pour approfondir la formule d’À vous le studio ! lors d’un prochain cycle. Et vivement les 100 ans de Temps présent !
Crédit Photos: Laurent Bleuze, RTS
La journaliste Maria Ressa harcelée aux Philippines : quand la démocratie recule. Chronique de Pierre Haski, France Inter, 14 février 2019 : https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-14-fevrier-2019.
Edwy Plenel : une fondation pour protéger Mediapart. L’instant M, présenté par Sonia Devillers, France Inter, 18 octobre 2019 : https://www.franceinter.fr/emissions/l-instant-m/l-instant-m-18-octobre-2019.