Les conséquences de la pandémie touchent l’économie dans son ensemble, notamment le milieu culturel et ses travailleur·euse·s invisibles qui se retrouvent dans une situation sans précédent. Témoignage de deux collaborateurs techniques du FIFF et de la responsable communication du Kopek.
Des annulations à la chaîne
A
lors que le sujet se faufile dans toutes les conversations, un nombre grandissant de manifestations sont annulées tour à tour. Parmi ces annulations figurent deux festivals fribourgeois différents mais partageant un sort similaire : le Kopek et le FIFF.
C’est clair et net, la scène culturelle prend cher : les entreprises spécialisées qui misaient une grande partie de leur recette sur ces événements sont contraintes au licenciement d’une partie de leur personnel. Les petits festivals qui vivent du bénévolat voient leur planification de longue date anéantie en un seul communiqué de presse. Finalement les conséquences individuelles forcent nombres de travailleur·euse·s, notamment les intermittent·e·s du spectacle, à trouver des solutions pour parvenir à payer leur loyer. Si les membres du staff technique du FIFF se sentent exclu·e·s de l’analyse du problème par le Conseil Fédéral, ils·elles font toutefois preuve d’une grande compréhension face aux mesures édictées.
Exclus du chômage partiel
C’est connu, les « jobs à passion » sont souvent synonymes d’instabilité financière. Ceux·celles qu’on appellera les intermittent·e·s du spectacle, non reconnu·e·s en Suisse (à contrario de la France), regroupent l’ensemble des programmateur·rice·s, technicien·ne·s, artistes et créateur·rice·s qui puisent leur revenu de manière ponctuelle en fonction de l’organisation de ces événements. Ce travail intense sur une courte période, alliant horaires irréguliers et dépendance de l’activité culturelle, représente une énigme pour les institutions qui peinent à cerner la complexité de ces situations de travail. Pour l’heure, pas de convention spéciale, ni de catégorie propre aux intermittent·e·s du spectacle : il est difficile dans ces conditions d’accéder au chômage partiel. Dans une situation de nécessité, la compréhension institutionnelle se trouve loin de la réalité : « On nous pousse à prendre n’importe quoi, même des choses qui sortent de nos domaines de compétence, on nous classe comme électricien·ne·s alors que ça n’a rien à voir, mais il faut bien nous caser quelque part. Les gens se disent « ah c’est cool vous regardez les films, vous écoutez les concerts », alors qu’il y a une charge de travail intense qui est faite dans l’ombre. Il y a un fort besoin de sensibilisation, surtout au niveau institutionnel ! », témoigne Issam, un membre du staff technique du FIFF. S’ajoute à cela que la plupart de ces travailleur·euse·s sont dénué·e·s de tout filet de sécurité en termes d’assurance : « Autour de moi personne n’avait d’assurance perte de gain car ils·elles avaient l’impression de payer dans le vide. Le coût de cette assurance, c’est cher quand tu galères déjà à payer ton loyer… À présent, tou·te·s les intermittent·e·s du spectacle vont commencer à s’y inscrire », ajoute le témoin. Il s’agit alors pour chaque individu de trouver sa solution personnelle face à ce manque de revenu. Certain·e·s parviennent à se reconvertir vers des secteurs alternatifs tandis que d’autres n’ont pas le choix que de prendre un job quelconque qui leur permettra de payer leurs factures ; mais ce n’est pas si simple, étant donné que beaucoup choisissent ce métier par conviction et pour la rétribution qu’ils·elles en retirent par leur investissement personnel. Pour le FIFF, un redéploiement sur l’année (édition 34 et demi) est envisagé afin de valoriser le programme du festival et le travail effectué par ses collaborateur·rice·s.
Compter sur la solidarité
Malgré tous les coups durs, il faut tout de même relever une bonne nouvelle : la solidarité règne entre partenaires et prestataires en cette crise sanitaire. Dans le cas du Kopek festival, les dégâts restent canalisables grâce à la compréhension générale liée au problème, comme nous l’indique Loraine Coquoz, responsable communication du festival : « Avec toute la couverture médiatique de la situation du secteur culturel, il y a eu un travail de sensibilisation. Notre fournisseur de panneaux électriques, le Groupe E, s’est montré très compréhensif : ils avaient déjà tout installé, le travail a été fait et pourtant ils ne nous ont rien facturé et nous ont offert la prestation. Il en va de même avec la ville de Fribourg dont la voirie nous avait livré du matériel. Ils·elles sont ouvert·e·s à la discussion et comprennent bien notre situation. » Pour un festival disposant d’un petit budget, cette solidarité est cruciale et permet de rémunérer au mieux les technicien·ne·s qui comptent sur ces heures de travail. « Pour eux·elles, c’est très compliqué. On leur a dit de pas nous faire de cadeau, car nous on veut les payer, on doit payer le travail fourni, donc on a été clair : il ne faut pas qu’ils·elles minimisent leur travail. Les technicien·ne·s son et lumière, qui devaient travailler pendant la journée et sont payé·e·s à l’heure, ont perdu beaucoup d’argent. Et ils·elles ne sont pas les seul·e·s », conclut-elle. Ainsi, cette crise sanitaire pourrait éventuellement contribuer à une plus grande visibilité de ces acteur·rice·s. Une collecte de données relatives aux pertes de gain liées au coronavirus a d’ailleurs été mise en place (https://www.sonart.swiss/fr/corona/). Peut-être qu’un éveil de conscience de la classe politique pourrait s’en suivre ? « On se rend compte que le milieu culturel fait travailler les gens et rapporte à la société plus qu’elle ne lui coûte », souligne Michael Pfenninger, le responsable technique du FIFF. L’assouplissement des conditions de chômage serait alors un premier pas.
Lien vers la pétition
Léa Crevoisier et Stéphane Huber
Crédit photo: Libre de droit, Pixabey