Vendredi 13, l’annonce tombe : le conseil fédéral déclare l’état d’urgence sanitaire en Suisse. Changement d’ambiance radicale, la scène paraît surréelle. Et pourtant.

13h45 Je suis en train de surveiller les élèves du CO pendant l’étude quand ceux·celles-ci m’apprennent que le conseil fédéral prendra bientôt la parole sur les mesures à appliquer pour limiter l’épidémie du coronavirus en Suisse. L’ambiance est bon enfant, les élèves se permettent quelques blagues, la plupart semblent se réjouir de l’éventualité de rater les cours. Le temps passe, quand tout à coup les hauts parleurs de la salle se mettent à diffuser une annonce du directeur du CO : l’école sera fermée jusqu’au 30 avril. Les élèves sautent de joie, se prennent dans les bras – mauvaise idée – et crient un « hourra ! » général.
Leur bonne humeur est contagieuse.

16h00 Je sors de l’école pour m’engouffrer dans les rues de Fribourg. Je saute sur mon natel pour consulter les news : non seulement les écoles sont fermées, mais il s’agit aussi des restaurants, cinémas et autres lieux de rassemblement. Ça me fait tout bizarre, je ne sais pas quoi en penser. Dans la rue, l’ambiance est électrique, et c’est comme un monde divisé en deux : ceux·celles qui flippent et ceux·celles qui s’en foutent. Certain·e·s se pressent en tous sens, l’air anxieux·ses et agité·e·s, tandis que d’autres boivent tranquillement une bière au soleil entre potes. C’est étrange, ces deux extrêmes. Ceux·celles qui me fascinent le plus, ce sont ces jeunes collégien·ne·s qui semblent ne rien craindre de particulier, comme s’il s’agissait d’un jour comme un autre, le sourire aux lèvres et l’accolade facile, l’air de se croire immortel·le·s.
Et moi, je ne sais pas encore dans quel camp je me situe.

17h30 Je file à la Migros pour m’acheter une boisson, et force est de constater que les étales ont été dévalisés : plus de pâtes, plus de riz et étrangement, plus de PQ. Les gens craignent-ils de se noyer dans leur merde ? Cette drôle de pensée m’amuse, mais je sens bien l’anxiété qui monte en moi, et je me demande si je ne devrais pas faire des réserves, moi aussi.
Pour la première fois, j’ai peur.