Depuis le début de la pandémie du Covid-19, l’inquiétude sanitaire ne cesse d’augmenter. Dans le même temps, des mains pointent du doigt la faune et la flore qu’on voit ici et là, enfin, « respirer » ! Mise au point avec Philippe Roch et Dominique Bourg, tous deux spécialistes de l’écologie.
Un lien de causalité ?
Le virus a voyagé de Chine vers le monde entier. Un peu comme le gobelet en plastique qui a dû faire Hong Kong-Zurich, pourrait-on dire ? Avec la mondialisation, toutes les conditions sont réunies pour causer et augmenter le déséquilibre des écosystèmes. « Une situation idéale pour qu’un microbe parte à la conquête du monde sans être freiné », nous apprend Ph. Roch, Dr en biochimie, écologiste et ancien directeur du WWF Suisse et de l’Office fédéral de l’environnement. De son côté, D. Bourg, philosophe écologiste, professeur honoraire à l’Université de Lausanne et directeur de La pensée écologique, rappelle qu’avec le Covid-19 « nous avons à faire à une zoonose, une infection d’origine animale», précisant que « le coronavirus a pour espèce hôte un type de chauve-souris dont on a détruit l’habitat et qui pour cette raison se serait rapproché des habitats humains. » Il poursuit : « quoi qu’il en soit, la destruction des écosystèmes et des populations ruine les équilibres entre populations et suscite des pullulements de pathogènes. » On peut donc clairement confirmer que c’est la crise écologique qui crée la crise sanitaire !
Pas assez alarmante, la sonnette d’alarme ?
Depuis de nombreuses années déjà, des spécialistes ou de modestes citoyen∙ne∙s crient leur désarroi face aux violences faites à l’encontre de l’environnement. Et le risque de catastrophe humaine ou environnementale n’a jamais été aussi explicite et évident que depuis ces dernières années. Des visionnaires, tels que Jacques Attali en 2009 par exemple, ont même lancé des avertissements sur une éventuelle crise sanitaire planétaire et ont évoqué la fort probable réapparition du coronavirus vers … 2020 ! Les autorités n’ont-elles pas été assez attentives ? D. Bourg remet sur le tapis l’attaque du Covid-2 qui a surgi en 2002 avec le SRAS en Chine.
Il souligne que « Taïwan ou la Corée du Sud ne l’ont pas oublié et ont remarquablement lutté contre la pandémie. Du côté européen, à l’oubli se sont ajoutées les politiques néolibérales de saccage de la santé publique. En France par exemple, on possédait jusqu’en 2013 un stock d’un milliard quatre cents millions de masques ! » Aujourd’hui, suite à des politiques ayant imaginé un futur sanitaire sans vulnérabilité particulière, les stocks n’ont pas été renouvelés et il y a pénurie de masques. Ph. Roch n’hésite pas à relever que « nous assistons à une incroyable mobilisation collective planétaire contre le virus ». Selon lui, la situation actuelle devrait permettre une mobilisation pour stopper l’érosion de la biodiversité et lutter contre les causes des changements climatiques, ajoutant que la situation devrait également « mettre fin aux graves injustices qui frappent tant de populations, de groupes humains et d’individus sur l’ensemble de la Planète ».
Quelle leçon après le chaos du Covid-19 ?
La liste des catastrophes environnementales est longue. Très longue. Mais quelle grosse catastrophe faudrait-il pour admettre des limites à la course de la croissance ? Quels moyens employer en plus des manifestations et de la désobéissance civile pour défendre les idées écologiques ? L’ancien directeur de l’OFEV souligne que « la dénonciation d’une situation intolérable par des manifestations est utile, mais il est encore plus important d’annoncer un monde meilleur et de travailler ensemble à son avènement dans la joie et l’espérance. » Selon lui, il faut donc garder espoir. D. Bourg interroge les décisions gouvernementales : « Si pour éviter des centaines de milliers de morts, qui est le bilan probable sans confinement dans les pays européens, les gouvernements n’ont pas hésité à stopper l’économie, pourquoi ne le feraient-ils pas devant un danger annonçant des centaines de millions de morts à l’échelle planétaire ? » Il rappelle que dès la prochaine décennie, nous pourrions connaître des effondrements régionaux de la production alimentaire, comme en Australie cette année. Autrement dit, si ce n’est pas le Covid-19, tôt ou tard d’autres catastrophes nous contraindront à baisser la cadence.
Un après Covid-19 ?
« Je crains qu’à la fin de la pandémie, nous assistions à l’explosion des forces économiques et politiques du passé pour rétablir la situation d’avant sans rien y changer », nous confie Ph. Roch. D. Bourg est du même avis : « L’économie doit être un moyen et non une fin ! » Les deux spécialistes s’accordent sur l’importance des différentes questions écologiques : la biodiversité et le climat qu’on ne saurait séparer, les modes de consommation et le modèle économique.
Ph. Roch conclut par une invitation à agir : « Puisque nous votons souvent en Suisse, nous pouvons nous engager politiquement en faveur d’une civilisation plus douce, plus solidaire et plus écologique. Profitons-en ! »
Pour prolonger la réflexion :
Croissance, décroissance, pour une transition écologique, Ph. Roch, Jouvence, 2018
Le Marché contre l’Humanité, D. Bourg, Puf, 2019
Illustration : Antoine Bouraly