De plus en plus, les réseaux sociaux proposent des filtres qui permettent aux utilisateur·rice·s de se filmer avec un visage qui n’est pas le leur. Est-ce une pratique problématique ?

N’a-t-on pas tou·te·s déjà fait l’utilisation d’un filtre « cro mignooon » qui nous transforme en petit chien qui tire la langue ou qui ajoute de jolies petites taches de rousseur sur nos deux joues ? Mais réfléchissons-nous aux conséquences que peuvent avoir ces pratiques ?

Un problème d’identification

Lorsque j’utilise un filtre sur Instagram pour poster une vidéo de moi qui raconte ma vie, cela n’est pas en soi problématique car sur mon profil se trouvent des photographies qui présentent mon véritable visage. Au contraire, cela peut le devenir sur les profils d’influenceur·euse·s qui présentent une réalité déformée (photographies retouchées sur leur profil, vidéos déformées par des filtres dans leurs stories). En soi, chacun vit sa vie, oui. Moins lorsque certaines personnes, et notamment un jeune public, s’identifient à ces figures et qu’elles se réfèrent donc à une réalité déformée qu’elles définissent comme modèle.

En effet, dans notre société, le corps parfait est fantasmé et idéalisé. Ne voit-on pas des publicités retouchées aussitôt que l’on ouvre notre feed instagram, des comptes de fitness qui présentent un physique idéal ou des stars de la téléréalité aux physiques « parfaits » mais entièrement modifiés par la chirurgie esthétique ? Alors oui, c’est problématique de savoir que certain·e·s adolescent·e·s vont s’identifier à ce qu’iels estiment être une réalité, ce qui les mène à des troubles de l’estime de l’image de soi, tel l’anorexie. Je ne dis pas que ces pratiques doivent cesser d’exister mais simplement que leur utilisation doit être mentionnée : lorsqu’une publicité est retouchée, il est important de signaler qu’il ne s’agit pas du corps d’une personne réelle, mais d’une photographie travaillée. Cela éviterait à certaines personnes de s’affamer dans l’espoir désespéré d’atteindre un corps qui n’existe pas. De même lors du recours à des chirurgies esthétiques.

D’autant plus que la problématique lancée par ces filtres devient de plus en plus alarmante, notamment aux États-Unis où les professionnel·le·s de la chirurgie esthétique notent un accroissement des patient·e·s cherchant à se rapprocher d’une version idéalisée d’iels-mêmes : selon l’Annual American Academy of Facial Plastic and Reconstructive Surgery, 55% des chirurgien·ne·s déclarent faire face à des patient·e·s désirant améliorer leurs apparences dans les selfies, contre 42% en 2015. Dans un article du JAMA Facial Plastic Surgery, des chercheur·euse·s de la faculté de médecine de Boston ont même dénommé ce phénomène : « la dysmorphie Snapchat ». « Ces filtres et ces retouches sont devenus la norme, altérant la perception des gens de la beauté partout dans le monde », révèlent-iels.

 

© Zarina Faeh.

Lutter contre le modèle du corps « parfait » ?

L’utilisation de filtres Snapchat et Instagram s’inscrit donc dans un débat plus vaste sur l’image du corps dans une société « filtrée ». Heureusement, certains mouvements travaillent précisément sur l’acceptation du corps tel qu’il est : le mouvement bodypositive, notamment, présente le corps dans sa réalité. De plus en plus de marques saisissent l’importance de cesser de présenter un corps imaginé et l’on peut désormais découvrir des vêtements portés par des corps non plus idéaux mais bel et bien réels : vergetures, acné, cellulite, poils sont dévoilés par ces marques (Asos, Monki, Desigual, etc.) offrant une mode plus inclusive et plus réaliste. Car un corps peut être grand, petit, rond, mince ou maigre, blanc, noir, métissé, avoir des cicatrices, des handicaps, des cheveux blancs et bien d’autres petits détails qui en font un corps réel qui mérite d’être aussi bien représenté que le corps idéalisé exposé sur les réseaux sociaux. Plus encore, les filtres Snapchat et Instagram posent également des problèmes de racisme, d’ethnocentrisme ou de grossophobie, car la plupart de ces filtres « occidentalisent », blanchissent et amincissent leurs utilisateur·rice·s. Cela laisse donc réfléchir aux différentes réalités que touchent ces « moi » numériques et à leur orientation politisée. Finalement, il s’agit donc de prendre conscience du débat sous-jacent à l’innocente mutation de devenir un mignon petit chat sur Instagram ou Snapchat.