Ne vous méprenez pas
Ceci n’est pas une introduction pour un texte créatif sur le dadaïsme écrit par les quatre mains d’Emilia Astorina et de Maxime Staedler.
D’ailleurs, si l’on voulait écrire un texte de la sorte, il faudrait absolument abandonner toute idée de cohérence et de fil conducteur. Vouloir être dada, c’est à l’encontre de la philosophie dada. Peut-on être dada par volonté ? Il vaut sans doute mieux éviter d’être quoi que ce soit, cela refléterait sans doute bien mieux l’idée de cet anti-courant artistique. Après tout, le monde court autant à sa perte qu’il y a cent ans, si ce n’est plus. Le mieux sans doute, c’est d’arrêter là. Et d’observer ce qui se passe ensuite.
Car lorsque vient le temps de sortir son parapluie, c’est à ce moment précis que les habitants de la Dadaïsie se méfient. De quoi me direz-vous ? Eh bien…de la pluie pardi ! Toutefois, ce phénomène doit être étudié car si la méfiance est de mise, la tradition l’est tout autant. En effet, dès qu’une goutte se fait sentir, les Dadaïsiens se réunissent sur la place publique du village ou de la ville (c’est selon). Puis, le chef que l’on nomme Le Pagranchef récite une très vieille ode à la pluie. Dans le même temps, les habitants munis de parapluie-canne, entament une danse avec celui-ci. Dans quel but vous étonnerez-vous ? Eux-mêmes ne sont pas très au clair non plus. Mais alors, à quoi bon accomplir encore ce rite si personne n’en connaît vraiment les tenants et les aboutissants ? »Point d’interrogation » sera ma réponse.
Cela ne doit pas nous empêcher d’imaginer d’autres futurs possibles que celui que l’on nous sert, nauséabond à souhait. Qu’en est-il du droit au rêve dans ce monde déshérité ? Que reste-t-il de la beauté ? Où se cache(nt) l(es)’amour(s) ? Qu’attend la logique pour enfin sortir de sa tapisserie ? Que souhaitons-nous pour nos propres envies ? Je pose ces questions. Non, je les expose, afin que les prémices de leurs réponses puissent servir à rallumer la mèche de nos espoirs. Puissent-elles servir d’incantation pour réenchanter nos rêves et ramener à la raison ceux qui prétendent en détenir le monopole.
Voici un oracle des plus étranges me direz-vous, certes, mais utile si l’on sait lire entre les lignes. (Pas des mains hein), c’est une expression, enfin… Ceci dit, « les détenteurs du monopole », ça sonne pas très gai. Surtout s’il s’agit de nos rêves. Ensuite, si l’on doit mettre en lien l’oracle avec le rite de la Dadaïsie, ça se complique.
N’empêche que, si on replace le tout dans un plus large contexte, ça ne serait pas si mal. Un dadaïste, un surréaliste, un conceptualiste et un moderniste entrent dans un bar. « Qu’est-ce que je vous sers ? », demande le barman. « Un lapin » répond Marcel Duchamp. Ceci étant dit, ceci est dit. Le soir, j’apprécie le calme qui m’entoure et, longtemps, je ne me suis pas couché de bonne heure. Qu’à cela ne tienne, le soir des uns est le matin des autres. Ce ne sont pas les astres qui décident pour nous, c’est la raison des insensés.
Mais je crois qu’en Dadaïsie, ce sont bien les astres qui forgent les vies, les insensés n’y ont pas leur place, pas plus que les monopoles d’ailleurs. Les rêves quant à eux se réalisent, c’est vrai, je l’ai vu de mes yeux. Je pense comprendre gentiment pour quelle raison les Dadaïsiens n’ont pas été détournés de l’attraction des astres. Émettons l’hypothèse selon laquelle, le respect de rites très anciens, même si leur essence a été oubliée, suffit à s’attirer encore la faveur des astres et à se protéger des insensés, alors les odes à la pluie ont tout leur sens et la raison des détenteurs du monopole n’est en aucun cas une fatalité.
Ce qui est réservé aux insensés ne fait perdre la raison qu’aux honnêtes gens. Ainsi, les rites modernes ont remplacé ce qui pouvait autrefois servir de sacrement et nous nous retrouvons désormais en présence de nouveaux dieux fantoches et sans visage, qui ne disent pas leurs noms afin de continuer à arborer l’ersatz de masque qui cache la vacuité de leurs traits. Même si nul n’est plus dupe, nous continuons à jouer comme si l’illusion existait encore, nous continuons à déblatérer sur des futilités qui empoisonnent notre quotidien et gangrènent les possibles. Nous préférons cet aveuglement par il nous permet d’éviter d’aborder le sujet – ô combien sérieux et catatonisant – de la fin.
Mais la fin je vous dirais, n’est aucunement sérieuse, ce n’est qu’artifice. Et c’est, selon mon hypothèse toujours, vrai uniquement pour les Dadaïsiens qui eux, sciemment ou non, savent se prémunir des subterfuges des insensés. Alors que nous, pauvres “chefs- d’œuvre” des détenteurs du monopole, ignorons tout de la vérité. Regardez les astres vous dis-je, chantez la nature vous prie-je, et alors vous comprendrez que la fin fait partie d’un tout et qu’il faut s’en réjouir. Quant à cet aveuglement dont il est question, il n’est qu’un genre de mur à franchir pour s’affranchir des insensés et pour s’en débarrasser.
Et quel est le moyen le plus efficace pour franchir un mur ? Car si ouvrir une porte pour traverser un mur semble le plus adéquat, nous sommes sans doute bien démunis face à un mur sans porte. Je n’ai personnellement jamais installé de porte, et je doute fortement que ce soit votre cas. Nous pouvons alors tenter de grimper par-dessus. C’est certes facile à dire, dans les cas suivants : Un, le mur n’est pas très élevé et nous sommes capables de sauter assez haut pour nous hisser à partir de son sommet. Cela suggère que nous ayons une bonne détente et assez de force dans nos petits bras pour soulever notre propre poids. Deux, le mur est un peu plus élevé, mais nous disposons d’une échelle ou d’éléments monticulaires appropriés, ce qui nous facilite quelque peu la tâche. Comme ce n’est pas le cas, il ne nous reste d’autre choix que la destruction pure et simple de notre obstacle. Si nous ne sommes pas pourvus de la chance d’en avoir assez pour bénéficier d’explosifs à proximité, il nous faudra alors, à force d’abnégation, nous forger une ouverture au travers. Ceci dit, l’utilisation de cette troisième voie nous laissera sans doute avec quelques courants d’air, ce qui me semble quelque peu ennuyeux, mais pas si dramatique que cela.
Parler d’une troisième voie me semble un idéal à atteindre. Faire des compromis, allier l’avers et le revers d’un même objet, d’une même entité, d’un même concept. Prendre ce qu’il y a de plus juste dans des choses qui s’opposent. Puisque nous qui sommes dans le bateau des insensés, malgré nous ou non, ne pouvons-nous défaire de ce que l’on a toujours cru vrai si facilement, adopter le modèle dadaïsien d’un jour à l’autre, serait une bêtise. Cependant, conjuguer rites anciens et pratiques technologiques me parait une issue plus favorable. Pour en revenir à ce mur à franchir, j’aime à dire que c’est l’amour et la reconnaissance envers notre univers, à l’image des Dadaïsiens qui fera la différence pour mêler à notre cause, les aveuglés. L’observation des corps célestes mêlée à l‘acceptation des maux de notre réalité, l’accomplissement de certaines coutumes lointaines, la prise de conscience de quelques dysfonctionnements actuels, sont la clé à un déclic nécessaire à l’accès à la troisième voie. À présent tout ça est limpide dans mon esprit. Je vous dirais même que cet aveuglement n’est pas un obstacle à notre but, mais plutôt une espèce de diapason qui résonne faux aux oreilles de quelques personnes avancées et cette dissonance ne fera qu’enclencher la machine à réparer le temps.