La révolution est presque par essence un sujet cinématographique. Comment a-t-on approché la représentation de l’étincelle révolutionnaire au cinéma ? Tour d’horizon (non exhaustif).

 

La révolution dans les yeux de l’individu

 

L’étincelle qui boute le feu de la révolution est souvent dans le cinéma hollywoodien d’abord une affaire d’émotion. En effet, la révolution ne sert bien souvent que de toile de fond à la vendetta personnelle d’un personnage auquel un représentant du système établi a fait du tort. Le cinéma hollywoodien a de fait eu régulièrement tendance à dépolitiser les révoltes sociales et à les réduire en décors des drames et tragédies psychologiques qui assaillent les personnages. C’est William Wallace dans Braveheart (Mel Gibson, 1995) qui soulève l’Écosse contre l’Angleterre suite au meurtre de sa dulcinée ; c’est Spartacus (1960) dans le film éponyme de Stanley Kubrick qui, après avoir vu son compère gladiateur Draaba se faire assassiner de la main de Crassus, se révolte et décide de sortir de sa condition d’esclave.

 

Le héros hollywoodien typique se révolte presque systématiquement pour une raison ayant trait à sa biographie. Il s’engage pour sauver sa vie ou celle de ses proches ou pour se venger, mais rarement par obligation matérielle ou par la conscience de sa condition socio-économique. Une telle propension à dépolitiser la lutte sociale – ou plutôt à la personnaliser – ne vient évidemment pas que d’une volonté propagandiste à détourner les foules de la politique. Une telle affirmation serait bien trop réductrice et injuste – beaucoup de cinéastes hollywoodiens ont tenté d’aborder la question de manière plus directe-. Si le soft power américain s’est bien servi tout au long de la Guerre Froide du gigantesque appareil industriel qu’est Hollywood pour combattre le péril rouge, l’accent qui est mis sur le versant émotionnel de l’engagement du héros est à trouver plus largement dans la tradition culturelle américaine, résolument individualiste, qui a imprégné le cinéma hollywoodien dès son plus jeune âge. Ce n’est pas tant que les cinéastes américains veulent éviter de parler frontalement de la lutte sociale, c’est que l’école hollywoodienne de la narration et ses exigences dramaturgiques les forces à les voir par le prisme de l’individu, brique fondamentale de l’idéologie des États-Unis.

Noor Amdouni

Raconter la révolte collective

 

Pour trouver des représentations différentes de la flamme révolutionnaire, il est intéressant de se pencher sur une cinématographie directement concernée : l’école soviétique. Si les grands cinéastes soviétiques du début du vingtième se sont tous intéressés, propagande oblige, à l’idée de révolution populaire, c’est bien Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein qui semble s’être le plus attaché à utiliser les techniques d’un langage cinématographique alors encore balbutiant pour représenter la ferveur révolutionnaire.

 

Le Cuirassée Potemkine (Sergueï M. Eisenstein, 1925) est l’exemple le plus emblématique de la représentation soviétique du début d’une révolution. Dépeignant l’épisode de la révolte d’Odessa de 1905, Eisenstein montre d’abord les marins du bateau de guerre se mutiner contre leurs officiers, puis les citoyens d’Odessa contre l’armée tsariste. Dans le film, on se révolte plus pour échapper au mauvais traitement des élites – les officiers nantis servent de la viande pourrie aux marins – que pour faire la catharsis d’une tragédie personnelle. Ici, la lutte sociale est dépersonnalisée par le montage et la narration : l’armée tsariste est filmée comme un bloc, une abstraction, et la foule opprimée porte de nombreux visages capturés en gros plans. D’ailleurs, le cuirassé Potemkine ne contient pas vraiment de personnage principal. Il y a bien un leader des mutins qui devient héros puis martyr de la révolution, mais c’est plutôt cette dernière qui est le vrai sujet de ce film. La révolution ne peut se concevoir que par le collectif pour un marxiste tel qu’Eisenstein. L’étincelle révolutionnaire est donc, elle aussi, avant tout une affaire de groupes développant un lien de solidarité parce qu’évoluant dans les mêmes conditions matérielles…