YOKI, un artiste du siècle passé et à la philosophie moderne
L’artiste fribourgeois Yoki, très populaire il y a quelques décennies, a été exposé au musée d’Art et d’Histoire de Fribourg. L’occasion de se pencher sur un artiste qui, entre art religieux et natures mortes, présente de multiples facettes.
De son véritable nom Émile Aebischer, cet artiste originaire de Romont eut un réel impact sur l’art religieux dans le canton de Fribourg et dans ce qui l’a rendu célèbre : l’art de verrerie. Si l’art religieux perd de son attrait dans notre siècle des nouvelles technologies, les quelques élans philosophiques de cet homme et ses œuvres restent d’actualité en 2022, alors que l’on fête cette année les 100 ans de sa naissance.
Émile est né le 21 février 1922 à Romont d’une mère qui accoucha seule, chez elle. Il raconte de son enfance à Romont garder un souvenir émerveillé de la richesse artistique des remparts et du château, dans un cadre médiéval qui le fascinait. Il est vrai que Romont, se trouvant entre un Fribourg catholique et un Vaud protestant, représentait, malgré les rivalités religieuses présentes dans le reste du pays, un lieu de profonde entente entre croyances divergentes, en plus d’être un centre culturel.
S’il se doit de partir faire un apprentissage de boulanger/pâtissier pour aider à soutenir sa famille, il ne s’éloigne jamais de sa vraie passion : l’art et la peinture. Le soir, il continue à peindre chez lui. C’est finalement l’architecte Fernand Dumas qui le repère et qui va le prendre sous son aile. Cette opportunité l’amena, lui, fils d’une famille modeste de Romont, dans une zone de rencontre à laquelle il n’aurait sinon eu que difficilement accès. Il entre donc dans les bureaux de Dumas dans une période où son mentor, déjà réputé, gagne le concours avec Denis Oenegger pour la construction d’un nouveau bâtiment central à l’université de Fribourg, Miséricorde.
Il découvre Fribourg à l’aube de ses 20 ans et raconte s’en souvenir comme étant une ville d’exceptionnelles rencontres, remplie de migrant-e-s de tous les coins du continent qui attendaient ensemble la fin de la guerre en Europe. Yoki raconte également à quel point le mélange de l’architecture gothique, des maisons du 15e siècle, et du style baroque de la ville l’ont touché. C’est ce qu’il appelle « l’unité de la molasse1 ».
« L’enrichissement de cette ville est venu par l’université, y’a pas de doutes1 »
Émile Aebischer est un artiste qui rappelle un art devenu aujourd’hui décadent, passé, duquel on ne parle plus assez. Il a cependant œuvré dans une période très riche et complexe pour l’histoire de l’Europe, allant d’Allemagne en Angleterre travailler au titre des dommages de guerre. Ironique, étant donné que ces deux pays qui s’affrontaient quelques années auparavant ont ensuite engagé le même artiste pour réparer les dégâts engendrés par l’un et l’autre. Émile raconte également de la Suisse cette vision qui résonne pour notre génération particulièrement : « [Cette vision de la Suisse] me fait un grand plaisir, car nous nous dirigeons vers une civilisation de métissage, d’un grand brassage […]1 »
Si Yoki est très connu pour ses œuvres dans le monde chrétien, c’est plutôt vers la peinture de la nature qu’il se tourne et pour laquelle il voue une vraie passion. Son désir est de faire voir les paysages aimés à travers ses yeux, ainsi que de « donner de la durée à des choses éphémères1 ». Tel un paysagiste, il se passionne pour la nature dans laquelle nous vivons, et dira d’ailleurs lui-même « c’est mon côté écolo sur les bords1 ».
Yoki avait une bonne mémoire visuelle, ce qui lui permettait de peindre même au retour de ses balades. Il perdra malheureusement avec le temps cette capacité, étant atteint de la maladie d’Alzheimer, maladie qui l’affectera jusqu’à son décès en 2012.
« La lenteur suisse porte trop souvent pour de la conscience1 »
Mais alors, pourquoi son travail est-il pertinent aujourd’hui, dans une société qui s’éloigne de plus en plus de l’église ? C’est justement parce que nous tendons à nous opposer à la morale du siècle passé qu’il est important de nous rappeler les œuvres qui décorent ces églises. Yoki est le témoin d’une époque charnière pour l’Europe, ayant vécu aussi bien la deuxième guerre mondiale que la formation de l’Union Européenne, qui est aujourd’hui sans cesse remise en question. Il est important de se demander d’où notre art moderne dérive, et de savoir apprécier la philosophie de cet artiste qui est aujourd’hui tout à fait pertinente, entre amour d’une nature éphémère et acceptation de l’autre. Cet artiste, qui continua à peindre malgré sa maladie d’Alzheimer, a su inspirer les nouvelles générations d’artistes, de par ses œuvres intemporelles.
1YOKI- Peintre et verrier, Layaz Alphonse, 2000