Cet été, la chance m’a été donnée de passer deux jours à Minsk, tous frais payés. C’était la première fois que je mettais les pieds en Biélorussie, c’est pourquoi je tiens à vous raconter mon voyage dans ce pays encore assez inconnu du grand public. Qui sait, ça vous donnera peut-être des idées pour des vacances plus tard ? Bienvenue dans la « dernière dictature d’Europe » !
L’appel de l’aventure
Tout commence avec un curieux mail reçu le 24 juillet 2019 : une agence de communication cherche un·e rédacteur·rice Spectrum pour couvrir les Jeux Européens 2019 à Minsk. Cette proposition me semblant honnête et alléchante, je manifeste sans y croire mon intérêt… et ça marche. Me voilà propulsée le 1er août de la semaine suivante dans un avion, direction la capitale de la Biélorussie. Oui, j’ai raté la fête nationale et le discours d’Ueli Maurer pour la peine… je m’en remettrai.
Sur place
J’arrive aux alentours de 22h30 au « Natsionalni Aeroport Minsk » (Aéroport National de Minsk). Le chauffeur, un blond peu bavard, m’attend à la sortie, et me conduit, avec un autre journaliste, au chic et classique Minsk Hotel, choisi pour l’occasion. Une fois arrivés, nous palabrons politique avec mon collègue, puis chacun rejoint sa chambre : nous devons être en forme pour demain, et il est déjà 1h30 du matin…
Événement médiatique loupé
Après un réveil difficile et un petit déjeuner copieux, me voilà dans le hall à attendre le reste de la troupe d’envoyés spéciaux. Au total, nous sommes huit journalistes venant de pays différents. Pologne, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Italie, Espagne et Royaume-Uni sont représentés, sans oublier la Suisse bien-sûr. Un meeting avec le directeur adjoint du MEGOC, le comité d’organisation des JE 2019, nous apprend que nous arrivons trop tard. En raison de difficultés organisationnelles, nous n’avons pas pu arriver à temps pour les Jeux Européens qui se déroulaient du 21 au 30 juillet… Nous avons donc raté de peu l’événement, et n’assisterons pas aux prouesses des athlètes. Mais c’est peut-être tant mieux : moins de pression et plus de temps pour découvrir la ville, l’occasion de se faire une idée de l’ambiance sans courir d’une épreuve à l’autre.
Sport et sportif·ve·s de haut niveau
Même sans compétitions sportives, les différents stades et installations sportives de Minsk nous sont présentés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ville est bien équipée ! On retiendra le stade Dinamo, reconstruit dans les années 50, avec une capacité de 22 000 places ; l’incroyable tremplin de ski aérien intérieur du Freestyle Center, unique au monde, qui aboutit dans une piscine et permet aux skieurs de s’entraîner toute l’année ; et finalement le Musée Olympique Biélorusse, qui répertorie et décrit tous les hauts faits des sportif·ve·s biélorusses. Au dernier étage, il dévoile le palmarès des médaillé·e·s olympiques biélorusses sous un grand dôme assez étrange. Le palmarès compte plus de femmes que d’hommes, et les disciplines phares sont l’aviron, le saut acrobatique et le biathlon. Le président, grand amateur de hockey, est d’ailleurs très impliqué dans les événements sportifs du pays.
Inoubliable Dudutki Museum
En principe, je ne suis pas une grande amatrice de musées, à part ceux d’histoire naturelle. Mais là, le coup de cœur est immédiat : à moins d’une heure de Minsk, le Dudutki Museum est un musée en plein air qui nous immerge dans la vie du XIXe siècle. Force est de constater que nos habitudes ont bien changé ! C’est d’ailleurs là le plus passionnant : on se pose plein de questions sur le pourquoi du comment. Comment un moulin utilise-t-il la force éolienne pour moudre le grain ? Comment transformer de la crème en beurre sans efforts ? Comment protéger une ruche des ours ? Comment transformer des filasses de lin en habits ?
L’Homme est un génie qui s’ignore
En plongeant dans la vie d’antan, une chose me frappe, c’est la débrouillardise des gens. Pour améliorer leur quotidien, ou simplement le supporter, ils devaient constamment faire preuve d’intelligence pratique et de créativité, ce qui n’est plus notre cas aujourd’hui à cause du confort qui nous entoure. Quoiqu’en tant qu’étudiant·e, on finit par développer une capacité certaine à faire appel au système D !
Ce musée qui regroupe plusieurs ateliers (poterie, tissage, forge, boulangerie, ferme…) dans un sympathique parc est définitivement mon moment préféré du séjour. J’ai sûrement eu l’air d’une gamine en extase durant toute la visite, mais peu importe. Au rayon des anecdotes marquantes : la distillation illicite de blé ou autres ingrédients pour produire de la vodka maison, appelée Samogon (pratique très courante au XIXe, et encore largement répandue dans les villages aujourd’hui) et la découverte du trotteur pour bébés de l’époque : une boucle en bois insérée dans un bâton, dans lequel on insérait l’enfant pour qu’il apprenne à marcher en tournant en rond… gare au tournis !
Que mange-t-on en Biélorussie ?
Nous avons mangé des repas très copieux, qui commençaient toujours par des crudités (carottes, tomates, olives, radis…), et se prolongeaient ensuite invariablement avec de la viande : charcuterie froide, porc en soupe, viande kebab avec sa sauce au yoghourt, chachliks à la russe… tout était très bon, même si je dois avouer que ça faisait un peu beaucoup de viande pour moi… Ce qui est sûr, c’est que la majorité des Biélorusses est encore loin de se convertir au véganisme ! Au rayon desserts, inversement : le néant. Moi qui aime le sucré de temps en temps, j’ai dû me contenter de kompot, une boisson non alcoolisée un brin sucrée, préparée à base de fruits, et servie en accompagnement du repas.
Le 3 août, déjà
Le 3 août est une journée bien chargée : le matin, nous visitons Minsk, puis nous nous rendons à deux châteaux situés à environ 1h30 de trajet de la ville. Le soir, nous décidons d’assister à un match de foot au stade Dinamo pour tester les gradins et voir le niveau de jeu (même si mon analyse footballistique se limite à m’énerver quand un footballeur se roule par terre pour rien, et être triste ou énervée quand l’équipe que je soutiens perd).
Minsk, une ville au passé mouvementé
Il faut savoir que la ville de Minsk a reçu le titre de ville héroïque après la Seconde Guerre mondiale, ayant beaucoup souffert en 39-45 : elle a perdu le tiers de ses habitants, et environ 80% de ses édifices. Bloquée entre les bolcheviks d’un côté et les nazis de l’autre, il n’y avait malheureusement pas de grandes chances pour que quelque chose reste debout. Donc en termes de monuments historiques, on repassera. C’est d’ailleurs l’absence d’ancienneté et de désordre qui m’a frappée : la ville, entièrement reconstruite selon des plans d’architectes, dégage comme une impression factice. Les rues, très larges, sont peu fréquentées. Les routes à plusieurs voix fluidifient tellement le trafic qu’elles le rendent inconsistant. Les bâtiments peinent à dégager un charme naturel… Loin de moi l’idée de critiquer les efforts titanesques de reconstruction qui ont permis à cette ville de deux millions d’habitants de renaître de ses cendres, mais disons que la métropole a un peu le visage d’une ville artificielle, où tout est si bien organisé et structuré qu’on se demande si l’on a le droit d’y respirer. D’un autre côté, je pense qu’on peut vite s’habituer à avoir un grand espace vital. Cela me semble plus agréable que de vivre dans un de ces immenses mégalopoles où l’être humain, réduit à l’état de petite fourmi, est confronté quotidiennement au manque de place, aux bouchons monstrueux, aux klaxons, et à la pollution. Non. Là, il n’y a personne à qui l’on puisse vraiment reprocher de nous pomper l’air.
L’identité d’une ville
Face à ce manque de vieilles constructions, je réalise à quel point nous sommes chanceux en Suisse d’avoir des bâtiments centenaires ou millénaires. Comme de vieux gardiens, ils nous connectent à notre identité, sans même que l’on s’en rende compte. Un des rares édifices qui ait résisté à la guerre est l’Eglise rouge (krasny kostel), sur la place de l’indépendance. Construite au début du XXe, cette belle église catholique de brique rouge fut pillée par les Bolcheviks puis transformée successivement en théâtre, puis en cinéma. Elle ne retrouva son activité liturgique qu’en 1990, et dégage une intense atmosphère de dévotion. À son entrée, un panneau rend hommage à Jean-Paul II, le seul pape de l’histoire à avoir foulé le sol biélorusse… Les autres endroits qui m’ont marquée sont l’Hôtel de ville, qui rappelle un peu un temple grec. Il est d’un blanc immaculé et un syndic de bronze veille à l’entrée du bâtiment, tenant les clés de la ville. Finalement, le romantique Faubourg de la Trinité, face à la rivière Svislotch, est le seul endroit qui permette d’imaginer à quoi ressemblait la ville par le passé. Juste à côté se trouve la petite Ile des Larmes, qui abrite un mémorial poignant construit en 1985 en l’honneur des soldats biélorusses morts en Afghanistan. Malgré sa vocation un peu macabre, l’île est agréable pour une balade, et on y croise des canards, des cygnes et… des jeunes marié·e·s.
Deux châteaux typiques
En fin de matinée, notre minibus nous conduit à deux monuments historiques incontournables : le château de Nesvizh, construit en 1600 sur une colline et rénové en 2005. Inscrit au patrimoine de l’UNESCO, il est considéré par beaucoup comme le plus beau palais de Biélorussie. L’impressionnant château de Mir, quant à lui, a une forme de quadrilatère irrégulier. Bâti début 1500, il a subi de nombreux assauts et s’est vu restaurer à la fin du XIXe.
Nous avons mangé dans le cadre atypique de son restaurant sous-terrain : à peine éclairées, les salles nous plongent dans une ambiance médiévale. Elles sont toutes décorées d’une armure de « hussard ailé », un type de soldat d’élite lituano-polonais réputée pour sa vaillance, qui aurait repoussé maintes invasions étrangères entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les ailes sur le dos leur servaient à effrayer l’ennemi grâce à l’incroyable bruit qu’elles faisaient en battant l’air. Ce pan de l’histoire, avec ses histoires de mercenaires, de combats et d’invasions, m’a beaucoup impressionnée. Les guerrier·ère·s n’existent pas que dans Clash of Clan !
Match au Dinamo
De retour à Minsk, notre petit groupe se sépare en deux : le premier rentre à l’hôtel pour du temps libre, tandis que le second (dont je fais partie) s’en va voir un match de foot dans l’illustre stade Dinamo. Eh oui, à quoi bon voir un stade de l’extérieur si on ne peut pas tester l’intérieur ? C’était un moment très sympa, même si l’équipe que nous supportions a perdu (snif). En partant, j’hésite à acheter une écharpe de foot à l’effigie de la ville, mais finalement je renonce. Depuis, je regrette. C’est dur.
Clap final
Le dernier repas que nous partageons est un barbecue à la russe, particulièrement savoureux. Nous mangeons en plein-air dans de petites cabanes de bois douillettes, réparties ça et là dans le resto. Ce cadre est particulièrement apprécié pour les mariages, d’ailleurs l’un d’entre eux se déroule le soir où nous y sommes. Le concept du chachlik à la russe est de laisser mariner la viande une nuit avant de la mettre sur le grill, afin qu’elle reste molle et fonde sous la dent. Et je peux dire que ça marche : je ne crois pas avoir mangé de barbecue aussi tendre de toute ma vie… une grande réussite !
Mot de la fin
Je ne sais pas si ce pays mérite son titre de « dernière dictature d’Europe », mais je peux dire qu’il manifeste ces derniers temps une forte volonté de s’ouvrir au monde et aux visiteur·se·s. D’ailleurs, les modalités de visa ont été fortement simplifiées ces dernières années… Cette destination étant abordable et sympa, pourquoi ne pas se laisser tenter ? Je ne vais pas vous mentir : j’ai vu de plus belles villes. Mais n’y allez pas en recherchant le charme des petites rues pittoresques de Rome. Pensez plutôt qu’il y a 70 ans, un monceau de ruines s’élevait à cet endroit, c’est pourquoi la reconstruction a été un tour de force en soi. Cette ville impressionne par l’abnégation de ses habitant·e·s, leur patriotisme, et aussi par son ambiance le soir, quand chanteur·euse·s de rue et jeunes sortent pour profiter d’un verre de vodka ou tout autre alcool (oui… l’abstinence en matière d’alcool n’est pas vraiment à la mode). Il y a une vraie ambiance dans la capitale, et il serait dommage de ne pas venir voir de plus près à quoi ça ressemble. Juste un conseil : ne venez pas dire à un·e Biélorusse qu’il·elle est un·e « petit·e Russe » : il·elle ne vous le pardonnerait pas. Quant à moi, la prochaine fois que j’y retournerai, je connais déjà mon programme : direction la dernière forêt primaire d’Europe pour observer les bisons. Et achat de cette foutue écharpe de foot à l’effigie de la ville !
Crédit illustration: images libre de droit et Myriam Grzesiak