Le principe de la série estivale des « Cartes postales » est le suivant : un·e rédacteur·rice, un lieu de vacances, ses impressions. Une lecture légère, à l’image de la bonne humeur des mois d’été. Aujourd’hui, c’est Pauline qui partage ses mésaventures ferroviaires.

Cher·ère lecteur·rice,

Dans un monde idéal, je t’écrirais cette carte pour te parler d’Amsterdam – Amsterdam et ses charmants bâtiments de brique, ses canaux étincelants et ses mille vélos au mètre carré. Je te dirais toutes mes étoiles dans les yeux et le bien que j’ai pensé d’Amsterdam la belle. Mais tu t’en doutes, si ma carte commence ainsi, c’est que le monde n’est pas idéal. Il est délicieusement imparfait, ce qui lui permet de me fournir le sujet rêvé pour une carte postale : les aléas du traffic ferroviaire.

Vois-tu, cher·ère lecteur·rice, ma conscience (et, soyons honnêtes, mon porte-monnaie) grinçait des dents à l’idée d’acheter un billet d’avion de dernière minute pour un petit weekend. Ma bien-pensance écologique et moi-même avons donc fièrement fait l’acquisition de billets de train au rabais : douze heures de route et une blinde de changements, mais j’ai de quoi lire, écrire, et la bénédiction du sommeil facile. L’aller était conforme à mes attentes (long, mais vivable) et j’aborde donc le retour avec confiance. Je suis paisiblement assise dans mon deuxième train lorsque j’aperçois d’un œil distrait les mots maudits, en rouge et gras sur l’écran : « retard ». Panique à bord – mon arrivée à Venlo est retardée de dix minutes. Venlo, petite bourgade qui, je l’ai vaguement déduit, doit se situer à la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne, mais que je serais bien incapable de placer sur une carte (sérieusement, que celui ou celle qui connaît Venlo me jette la première pierre). Ce retard d’apparence anodine est cependant suffisant pour me faire craindre de rater ma correspondance – la dernière de la soirée. L’idée de passer ma nuit sur un banc dans une gare minuscule ne m’emballe que moyennement, et je sors du train en me lançant dans le sprint de ma vie (maudite sois-tu, Amsterdam et tes litres de bière).

Mon soulagement quand je saute à bord de mon nouveau train (en faisant le deuil de mon poumon gauche) ne dure pas : capricieux, mon nouveau carrosse a en effet décidé de rester un peu plus longtemps en gare (bah voyons). Retard estimé : une demi-heure. C’est officiel, mon précieux Intercity Köln-Basel partira sans moi. Me voilà donc seule, coincée entre Venlo et Mönchengladbach (que je sais tout aussi peu placer sur une carte, n’en déplaise aux fans du Borussia), avec des perspectives d’avenir immédiat qui ne feraient bander personne. Cher·ère lecteur·rice, un jour je t’écrirai, non pas une carte postale, mais une tirade furieuse sur l’angoisse d’être une femme seule en voyage. Restons-en pour cette fois à ce simple fait : l’idée de passer quatre heures dans la gare de Cologne au milieu de la nuit, mon natel déchargé pour seule compagnie, me donnait les frissons.

Poussée par un instinct de survie soudainement bien aiguisé, je commence donc à observer la foule essoufflée et dépitée qui m’entoure. Je tends l’oreille, recherchant parmi les hordes d’Allemand·e·s en colère la douce mélodie de la langue de Molière. Et tout à coup je les repère – trois jeunes hommes au français qui sonne délicieusement romand, en train de discuter d’inter-régio, de Brig et de raclette (ok, peut-être pas de raclette). C’est obligé, ceux-là vont en Suisse. Ma réticence à faire la causette à de parfaits inconnus ayant été magiquement neutralisée par les circonstances, je m’approche d’eux et leur demande où ils vont. Miracle, j’ai visé juste : mon flair m’a permis de repérer non seulement des voyageurs à destination de Bâle, de surcrôit les trois seuls autres valaisans du train.

Compréhensifs et sympathiques, mes trois compatriotes m’accueillent avec plaisir, et je me joins donc à leur petite bande. L’angoisse s’évapore, reste l’attente. Après avoir finalement rejoint Cologne, nous tuons le temps en admirant la cathédrale, qui a, au-delà de son impressionnante architecture, le mérite d’être juste à côté de la gare. Assis·e·s sur les escaliers de pierre, nous regardons l’horloge tourner, une longue minute après l’autre. Lorsque la pluie nous surprend, nous nous réfugions dans la gare et tuons le temps en découvrant que nous avons des connaissances en commun – si le monde est petit, que dire du Valais… Le temps, dans sa drôle de matière, semble s’étirer à l’infini, mais à quatre heures du matin, nous sommes finalement capables de poursuivre notre voyage. Encore une petite demi-heure de retard entre Francfort et Bâle, puisqu’on n’est plus à ça près – mais qui irait se plaindre d’un retard lorsqu’on peut le vivre dans le confort d’un siège moelleux, bien au chaud dans un wagon ?

Cher·ère lecteur·rice, j’ai finalement atteint Bâle, puis Fribourg, sans encombre. J’ai filé directement de la gare au travail, où j’ai été d’une inutilité profonde, et me suis jetée au lit à 18 heures. Tout est bien qui finit bien, donc. L’aventure n’a pas gâché mon plaisir et me permet de te quitter avec quelques conseils : va voir Amsterdam, c’est une ville merveilleuse. Vas-y en train, ce n’est pas si loin et ça vaut le coup pour ton empreinte carbone. Ne choisis PAS le dernier train du soir. Et surtout, en situation de crise, repère des Valaisan·ne·s pour te tenir compagnie !

Crédits photo: Pauline Seppey