Lettre de lecteur adressée à la tranquille Confédération helvétique concernant la vie et la visibilisation des personnes LGBTQIA+ en ton sein. Une semaine passée à Londres, un constat sans appel : être une personne LGBTQIA+ en Suisse est une situation désastreuse.

Disclaimer: cette rubrique, dédiée à l’opinion personnelle des rédacteur·rice·s et lecteur·rice·s, est un espace de liberté d’expression totale (ou presque) où tous les coups de gueule sont permis. Elle exprime donc les états-d’âmes de leurs auteur·rice·s, et ne parle pas au nom de Spectrum.

Ceci est la version longue de l’article de la rubrique « Coup de gueule » paru dans le numéro papier du mois de septembre.

Depuis quelques temps, j’ai décidé que le genre qu’on m’avait assigné à la naissance n’avait pas à décider de la manière dont je m’habillais, et j’ai pris ça au pied de la lettre. Je me suis réjoui de me faire percer les oreilles, j’ai passé des soirées à me faire les ongles devant Netflix et un jour j’ai même osé porter un crop top dans l’espace public. Spoileralert : en Suisse, se balader dans la rue en s’habillant en marge des normes de genres est un exercice périlleux. Un jour à Zurich, alors que je portais des boucles d’oreilles et une combinaison assez sobre, j’ai compté : en une heure, j’ai reçu plus de vingt regards qui n’étaient de loin pas bienveillants, quelques insultes et une invitation très explicite à avoir du sexe avec quelqu’un que je n’avais sollicité ni d’Eve, ni de Lilith. Là, j’ai compris que je n’étais pas le bienvenu dans l’espace public de mon pays. Oops.

Je ne compte évidemment plus le nombre de remarques que je reçois par jour, par rapport à mon style vestimentaire que la société actuelle réserve aux femmes*. Même sur mon lieu de travail, certain·e·s collègues se sont adressé·e·s au directeur pour lui faire part de leur gêne vis-à-vis de ma façon de m’habiller. Puis, je suis allé à Londres pour y passer cinq jours. Au début, fatigué de devoir affronter les regards et voulant passer des vacances tranquilles et sans tension, j’ai décidé de ne pas avoir un look autre que celui qu’on attendait de moi. Une fois reposé, j’ai mis ma plus belle combi et je suis sorti. Et là, quelle sensation merveilleuse ! Partout et tout le temps, les gens n’en avaient rien à battre, quel que soit le quartier que je visitais ou l’heure qu’il était ! J’ai poussé le vice un peu plus loin, et je suis allé dans des friperies pour « femmes* ». On m’a accueilli en souriant. Je suis allé dans un salon de manucure et on m’a juste demandé la formule que je voulais. Combi, ongles, boucles d’oreilles, crop top, j’ai eu quelques regards hostiles en quatre jours et c’est tout. La pire remarque que j’ai reçue a été « Gosh, you’re fabulous. », donc ça allait comme pire remarque. Si vous voulez tout savoir, un rabbin a bien tenté de me cracher dessus, mais ça reste toujours proportionnellement moins négatif qu’en Suisse. Alors je me suis demandé pourquoi ces différences de traitement.

Par la suite j’ai trouvé des explications. En quelques jours, j’ai compris que la ville de Londres avait commencé une réelle politique de visibilisation des personnes queer dans l’espace public. Avec des choses pouvant paraître très insignifiantes, du mobilier urbain aux couleurs du drapeau LGBT+ (et pas seulement la semaine de la Pride) et parfois des choses qui étaient plus élaborées, par exemple une station de train en banlieue dans laquelle il y avait des photos d’employé·e·x·s des transports publics ouvertement LGBTQIA+ avec une photo où iels avaient l’air heureux·euse·s et une phrase de témoignage. Sur leur lieu de travail, j’ai vu aussi des gens porter des petits badges pour la lutte contre le SIDA aux couleurs du drapeau LGBT+, arborant fièrement leur identité qui sortait du modèle cisgenre et hétéronormé. J’ai vu une personne avec une expression de genre masculine porter une jupe alors qu’elle travaillait et guess what, les gens s’en foutaient parce que cet individu faisait ce qu’il voulait.

À Londres, mon identité a été visible est célébrée. En Suisse, elle est invisible et si j’ose la montrer un peu, on me demande de ne pas le faire. L’important est d’éviter de déranger les ordres (et le cistème en place). Alors on fait quoi, ma très chère Suisse ? Et bien voilà quelques idées, certaines réalisables au quotidien par tes membres, d’autres réalisables par les pouvoirs publics entre deux ventes d’armes à des pays en guerre :

  1. On inscrit dans le code pénal que l’homophobie n’est pas une opinion, mais un délit et qu’il en est de même pour toutes les discriminations liées à l’identité de genre, à l’expression de genre ou à l’orientation sexuelle.
  2. On applique cette loi. On punit les gens qui ont des comportements homophobes grâce à notre système judiciaire.
  3. On écrit dans la Constitution que le mariage est pour tout le monde.
  4. Une fois ces éléments respectés, on commence une réelle politique de visibilisation. Cela veut dire qu’on montre que nous existons et qu’on fait en sorte que nos vies soient un tout petit peu moins un parcours du combattant. Une possibilité serait que lors des grandes fêtes et/ou manifestations réunissant des milliers de personnes, on puisse mettre en avant aussi bien les couples hétérosexuels que les couples homosexuels. Que ce soit sur scène (par les organisateur·rice·s) ou parmi le public (par les médias). La Fête des Vignerons 2019, on se sent visée ?
  5. On facilite les transitions pour les personnes désireuses de transitionner. Je ne suis pas assez documenté pour savoir comment cela se passe dans les faits, mais je sais que le taux de suicide chez les jeunes trans est bien plus élevé que celui chez les jeunes cis et je pense que les autorités devraient s’inquiéter et s’intéresser davantage à ces chiffres. Si quelqu’unx s’y connaît, je l’invite volontiers à écrire afin de nous informer et de rendre, petit à petit, le sujet moins tabou.
  6. On inscrit la possibilité de cocher autre chose que « homme » ou « femme » dans les formulaires officiels et on remplace le libellé de cette section par « genre » au lieu de « sexe ».
  7. On appelle la Marche des Fiertés, la Marche des Fiertés.
  8. On interdit aux entreprises qui ne font pas des actions concrètes toute l’année d’avoir un chariot à la Marche des Fiertés.
  9. On laisse tranquilles les personnes trans qui ne vous ont rien demandé, on ne s’occupe pas de savoir ce qu’iels ont entre les jambes.
  10. On ne dit pas « Ah, mais j’avais rien vu moi ! », quand quelqu’un vous fait son coming out en tant que personne homosexuelle.
  11. On laisse les gens s’habiller comme iels veulent. Sauf pour leur dire que ça leur va bien. Ou à moins que l’on soit proche de la personne au point de commenter les fringues l’un·e·x de l’autre pour s’élever ensemble sur le chemin d’être fabulous. Dans tous les autres cas, on ferme sa gueule quand ce que vous appelez un homme porte un crop top et quand ce que vous appelez une femme ne se maquille pas.
  12. On profite de l’accessibilité au savoir et on cherche sur Ecosia ce que l’on ne comprend pas et qui relève des notions basiques. Ceci afin d’être ou de rester une personne informée quant à ces problématiques.
  13. On écoute les gens concerné.x.s quand iels nous parlent de ce qu’iels vivent et on essaie de devenir de meilleur.e.x.s allié.e.x.s. Et quand une personne concernée vous dit qu’elle en a marre d’expliquer un truc ou qu’elle s’emballe à propos d’un sujet qui la touche, on l’excuse parce que l’injonction à la pédagogie c’est crevant.

Attention : je ne dis pas qu’aucune agression n’arrive à Londres ou que tout est déjà fait. Je ne dis pas qu’être queer est une sinécure dans cette ville. Mais honnêtement, la Suisse, tu es à la ramasse.

Merci Londres. Merci d’avoir commencé un vrai travail de visibilisation des personnes queer dans l’espace public. Merci aux militant·e·x·s qui luttent tous les jours. Merci aux personnes queer d’exister, gosh ce que vous êtes magnifiques·x.

Portrait du lecteur/rédacteur:

Loïc Chevalley est une personne homosexuelle et non-binaire. Quand il parle de lui-même, il emploie les pronoms masculins il/lui. Il étudie la philosophie et l’histoire de l’art à l’Université de Fribourg et est aujourd’hui comédien. Convaincu que chaque prise de parole est éminemment politique, il profite des tribunes pour participer à la lutte queer définitivement intersectionnelle.