Qu’elle soit directe ou indirecte, explicite ou implicite, la discrimination est difficile à définir, difficile à délimiter et encore plus difficile à prouver. Dans ce paysage, un groupe social se relève particulièrement vulnérable : les femmes migrantes qui subissent des discriminations intersectionnelles dues à la fois à leur genre et à leurs origines. De quels préjudices ces personnes sont-elles victimes durant leur parcours ? Spectrum est parti à leur rencontre, extraits à l’appui.

Ceci est la version longue de l’article « Dans la tête d’une réfugiée » issu du dossier Discrimination, paru dans le numéro papier du mois de septembre.

L’héritage discriminatoire

Kwestan Omar Ali et sa fille cadette Yasna Omar Ali, originaires du Kurdistan. ©Indra Crittin

Réfugiée politique, Kwestan Omar Ali, 51 ans, a quitté l’Irak pour fuir la mise en danger qui pesait sur elle-même et sur ses filles. « Je travaillais dans une organisation engagée pour l’indépendance des femmes et j’avais des problèmes avec le parti islamique. Je ne pouvais que fuir et la Suisse a été ma chance en 1995 », nous explique-t-elle. Quant aux discriminations perpétrées envers les femmes d’origine étrangère, K. Omar Ali soutient qu’elle l’observe même à l’égard de ses filles : « Ma fille aînée a réalisé ses études universitaires à Berne. Et pourtant, elle a eu beaucoup de peine à trouver du travail. Alors que ses collègues d’origine européenne trouvaient très facilement des places, même lorsqu’ils·elles n’avaient pas fait leurs études en Suisse ». À l’origine de ces différences, le manque de réseau social et les préjudices inavoués qui pèsent encore sur les prénoms et noms de famille étrangers, en particulier lorsqu’ils évoquent une origine assimilée à la religion musulmane. K. Omar Ali déplore une méfiance généralisée envers les étranger·ère·s du Moyen-Orient depuis les attentats de 2001 : « Depuis, tout a changé. On me demande souvent, sous couvert de l’humour, si je n’ai pas une bombe sur moi. C’est de très mauvais goût ». Sa fille cadette âgée de 12 ans, Yasna, affirme qu’elle est elle-même victime de discrimination. « Je suis née en Suisse et ce n’est pas parce qu’on a d’autres origines qu’il faut nous considérer autrement », conclut-elle.

Migrante jusqu’à quand ?

Lorsqu’on demande à A. T., 45 ans, érythréenne-éthiopienne, émigrée en Suisse en 2012, si la discrimination fait partie de ses expériences en Suisse, elle s’exclame : « Oui ! Et pas seulement pour moi. Surtout quand on a la peau foncée ». Elle nous parle d’une connaissance à elle : « Un ami, avocat en  Érythrée et trilingue, ne s’est vu offert aucune perspective de carrière ici. On lui a dit que puisqu’il était âgé, il ferait mieux de rester à la maison. Il a 50 ans ». Émue, elle poursuit : « Quand mon enfant a commencé l’école, une mère refusait que sa fille tienne la main de mon fils. Elle était pourtant elle-même d’origine étrangère ». A. T. pointe l’absurdité de la dénomination de « migrant·e », qui passe parfois jusqu’à la génération née en Suisse. « Même né·e·s ici, nos enfants resteront toujours des migrant·e·s aux yeux de certain·e·s. Moi, je ne veux plus entendre ce mot. Un jour, je demanderai combien d’années il faut pour ne plus être migrant·e. »

Empowerment !

Portrait de Pascale Michel. ©Martine Wolhauser

Pascale Michel, directrice d’espacefemmes-frauenraum, parle d’une « double peine ». Les femmes étrangères, nous dit-elle, subissent à la fois la discrimination sociale qui pèse sur le genre féminin et celle qui accable la migration. Elle met en avant le travail de fond réalisé par l’association et insiste sur le empowerment qui permet aux femmes de « dévoiler leurs compétences et de les développer ». La démarche se base sur la mise en confiance et le développement du pouvoir d’agir. En effet, à espacefemmes, on accompagne la femme – migrante ou pas – dans le but de « chercher et de mettre en lumière les compétences cachées qui ne sont remarquées ni par la femme elle-même, ni par son entourage, ni même par la société ». L’association qui a fêté ses 20 ans l’année passée accueille des femmes dans « des animations interculturelles qui permettent des échanges entre femmes de toutes origines et œuvre à la création d’un réseau social ». Lors de l’accompagnement vers une autonomisation, la femme n’est pas traitée comme une victime. Au contraire, elle est actrice de son parcours car « il y a des cadres légaux et aussi un choix de se voir et de voir les autres comme des êtres humains », nous dit P. Michel. La femme est donc accompagnée et encouragée mais il lui revient de réaliser le plus gros travail qui est celui de poser un autre regard sur son parcours « même si, dans certains cas, ce dernier ne répond pas au modèle masculin ».

espacefemmes propose également des activités diverses qui sont largement fréquentées par des femmes migrantes : cours de langues, cours d’informatique, conseils en vie professionnelle, rencontres et plus encore. Des conférences sont également organisées et représentent une occasion pour les femmes se rapprochant de l’association de se sentir en société. Il y a aussi le projet « Habitu’Elles – Vivre ensemble à Fribourg » qui est un ensemble d’ateliers d’intégration. Ce projet est important car par son biais les femmes, et notamment les femmes migrantes, ont l’occasion de mieux connaître les différents aspects de la vie en Suisse et « nous savons évidemment que l’intégration est un paramètre important pour diminuer la discrimination migratoire », souligne P. Michel.

De l’aide pour tous les âges

L’entretien, ayant commencé autour d’une table, se poursuit dans les différents locaux de l’association. La directrice d’espacefemmes nous fait visiter les lieux et nous parle d’une mesure particulière de soutien. En effet, en plus des espaces ordinaires tels que les bureaux, les salles de cours, la cuisine (qui est une grande pièce très sympathique, soit dit au passage), l’association réserve et offre un espace enfants dédié à l’accueil de la petite enfance. La structure est doublement efficace. D’abord elle permet aux mamans d’avoir du temps pour s’adonner aux différentes activités proposées par l’association, et ensuite elle offre aux enfants un espace de rencontres, de jeux et de socialisation. Joindre l’utile à l’agréable, en un sens. Selon elle, cet espace d’accueil est « un atelier de promotion d’égalité des chances et est donc vraiment une lutte contre la discrimination ». D’un côté, l’enfant a la possibilité de voir, d’entendre et d’employer des codes autres que ceux de sa communauté d’origine, lui permettant ainsi d’être équipé·e lorsqu’il·elle ira à l’école en Suisse. De l’autre, cette méthode permet de « bénéficier d’une approche éducative non-discriminante entre les filles et les garçons, considérant qu’à cet âge-là l’intégration de la norme se réalise fortement ». En effet, les habitudes discriminatoires ne semblant pas s’estomper avec le temps, il est alors primordial que les choses soient prises en mains dès l’éducation enfantine. La question reste cependant très subtile et délicate.

Qu’elle soit directe ou indirecte, explicite ou implicite, la discrimination est difficile à définir, difficile à délimiter et encore plus difficile à prouver. Profitant de l’expertise de P. Michel, nous l’interrogeons sur l’évolution de la situation. Elle nous répond de manière confiante et nous rappelle le caractère stimulant et populaire de la grève du 14 juin qui a fait du bruit. Elle ajoute que cet évènement « joyeux, réconfortant et mixte a clairement influencé les décisions politiques des jours qui ont suivi ». « Les choses bougent », conclut-elle en souriant.