Être allié·e : comment bien faire ?

En 2021, notre monde est encore souillé de nombreuses injustices contre lesquelles il est nécessaire d’agir, même si l’on ne les subit pas directement. Mais comment être un·e bon·ne allié·e ?

©Romain Buffetrille

Le 26 septembre 2021, en Suisse, la votation sur le mariage pour tou·te·s est acceptée par 64% de votant·e·s. Parmi ces personnes, nombreuses sont celles qui ne font pas partie de la communauté LGBTQ+ mais qui se sont mobilisées pour une cause qu’elles estimaient primordiale. Ces personnes sont ce que l’on appelle des allié·e·s. Dans cet article, Spectrum cherche à réfléchir à cette notion qui peut s’avérer complexe.

Car être l’allié·e d’une cause peut être délicat. Par exemple, de nombreux·ses membres des mouvements féministes prônent un principe de non-mixité, par crainte de voir les hommes cis-genre désirant les soutenir occuper trop de place. En effet, être allié·e, c’est, par définition, selon le Larousse: « apporter son aide et son soutien à autrui ». Dans le contexte de l’engagement pro-LGBTQ+ et anti-raciste, une nuance vient s’ajouter au mot : la personne en question n’est pas directement concerné par l’injustice qu’elle tente de combattre. C’est par exemple une personne hétérosexuelle qui désire manifester pour les droits de la communauté LGBTQ+. De ce fait, la personne doit être prudente dans ces agissements. Lara Torbay, membre de l’association universitaire EquOpp, explique ainsi que chaque communauté a ses propres besoins, vécus et combats et qu’il est donc nécessaire de se questionner lorsqu’on veut être un·e allié·e utile à sa cause : « Selon moi, être allié·e, c’est un long processus de remise en question et de changement complexe. Il n’y a pas de règle rigide et universelle, si ce n’est de faire preuve d’une certaine empathie, de flexibilité, de curiosité et d’humilité ». La notion d’allié·e·s est donc délicate, car elle implique des comportements qui diffèrent en fonction de la cause à laquelle elle est associée.

Être allié·e, c’est savoir s’effacer

Un premier élément semble essentiel à la notion d’allié·e : la compréhension de l’autre. Lara Torbay décrit ainsi cette idée : « Être un·e· bon·ne allié·e à des groupes marginalisés, c’est savoir écouter et comprendre des récits qui ne correspondent pas à notre propre vision du monde. C’est pouvoir se remettre en question, faire preuve de curiosité et se renseigner spontanément sur certaines thématiques. C’est être assez souple pour (dés)apprendre certaines idées ». Pour se faire, il est important d’effectuer un travail sur soi : « Je pense qu’il est nécessaire de mettre son égo de côté, d’accepter d’avoir tort, de ne pas tout comprendre, et de ne pas systématiquement être au centre des discussions et sur le devant de la scène dans le cadre de thématiques qui ne nous concernent pas. Peu importe ses connaissances ou ses expériences, je pense qu’il est crucial de se dire qu’on n’a jamais tout compris : il y aura toujours des vécus diamétralement opposés au mien, des notions et des mots inconnus, des habitudes à changer, des biais à déconstruire », explique Lara Torbay. Même si l’effacement de soi est parfois difficile à mettre en place, être un·e bon·ne allié·e, c’est avant tout laisser la place aux personnes qui subissent l’injustice contre laquelle on souhaite lutter. Pour ce faire, il est donc essentiel de questionner ses propres attitudes, ce que Lara Torbay présente ainsi : « il s’agit de faire peau neuve, de laisser derrière soi certaines habitudes, d’apprendre des autres, de dialoguer. Dans cette idée de flexibilité, il est important de pouvoir accepter de faire des erreurs, de ne pas mal le prendre lorsqu’on nous les fait remarquer et d’en apprendre ».

Défendre une cause sans la vivre ?

Comment défendre une cause quand il s’agit d’une injustice que nous ne vivons pas personnellement ? Une question complexe qu’il est essentiel de se poser dans une réflexion sur la notion d’allié·e. Lara Torbay commence par insister sur un point essentiel : « Je ne pense pas qu’il y ait de façon unique de soutenir activement une cause qui ne nous concerne pas ». Chaque cause a ses particularités. La première étape consiste donc à se renseigner. Cela peut se faire de différentes manières : en allant écouter ce que les personnes concernées par l’oppression en question revendiquent, en cherchant leurs témoignages, ou en lisant des écrits sur la question. Se renseigner, c’est aussi comprendre les besoins des personnes que l’on souhaite aider. « Je pense que le but est d’alléger la charge des personnes subissant des oppressions : les allié·e·s ne sont pas au centre des conversations et des actions, mais sont là pour les amplifier, les soutenir, les défendre », explique Lara Torbay. Et en se renseignant, on peut alors également proposer à d’autres de s’intéresser à cette question et éviter de perpétuer certains discours ou certains biais.

Il est alors possible d’agir en engageant des conversations sur certaines thématiques dans le cercle familial, amical, professionnel, en utilisant un vocabulaire adéquat et en disposant de connaissances sur la question. De même, on peut chercher à partager la voix des personnes marginalisées, par exemple sur les réseaux sociaux, pour amplifier leur portée en partageant leurs contenus.

Lara Torbay propose encore un autre type d’action, le soutien financier : « donner à des personnes marginalisées, à des collectifs militants, et à certaines ONG, et soutenir les productions de personnes noires, trans, ou en situation de handicap, est une manière de prendre part à une cause ».

Finalement, une action concrète est également possible, allant de la politique institutionnelle -(voter dans le but d’améliorer la situation de groupes marginalisés, signer des pétitions, s’engager dans des structures étatiques, etc.)- au militantisme -(s’engager dans des collectifs, les aider avec ses capacités propres, aller manifester, mais aussi permettre à ces manifestations d’avoir lieu tout en laissant les personnes concernées y participer librement en s’occupant de la sécurité, de la nourriture ou encore de la garde d’enfants)-.

Mais où se trouve la limite ?

©Alwiya Hussein

Agir est donc primordial, mais il est important d’être prudent·e et de ne pas vouloir occuper le devant de la scène. Lara Torbay conclut : « La limite réside toujours dans le fait de ne pas parler pour ou au nom des personnes qu’on souhaite soutenir. C’est pouvoir admettre qu’on ne doit pas systématiquement être au centre de tout, prendre la parole, être en tête de cortège. C’est ne pas couper la parole, ne pas partir du principe qu’on sait déjà tout, ne pas minimiser des souffrances qui ne sont pas les nôtres. Garder un esprit critique et se poser des questions sur certaines notions ou idées reste crucial ».