Ah, l’été. Le chaud et les vacances. Alors que certainꞏeꞏs ont établi leur pied à terre sur une terrasse ombragée, d’autres en profitent pour aller barboter au bordu, voire pour pratiquer quelques sports plus osés comme le canoé ou le ski nautique. Mais ces joies sont-elles inaccessibles à un corps affaibli par un lourd handicap ? C’est la question que cet article va s’attacher à élucider.

Chez les personnes polyhandicapées, c’est-à-dire handicapées à la fois physiquement et mentalement, le corps est souvent synonyme de souffrance. Il est défini par de dures limites qui ne cessent de nous ramener à ce que les autres peuvent faire, mais pas nous. Il ne nous obéit pas toujours, se tord ou abdique, s’abîme trop facilement, se répare mal. Alors quand le sport s’en mêle, le préavis ne s’annonce pas tout à fait positif. Et pourtant, après discussion avec une éducatrice spécialisée, l’horizon s’éclaircit.

Selon Stéphanie, responsable du pôle « activités physiques » à la Fondation Echaud située sur les hauts de Lausanne, chaque sport peut s’ajuster aux différents handicaps. Vraiment ? « J’ai fait un Master en sports adaptés en France. Là-bas, on nous apprend que toute activité physique ou sportive peut être faite du moment qu’elle est adaptée aux personnes. » Ensuite, pour que cela se concrétise, tout est question de créativité et d’imagination. Elle, son projet le plus récent et le plus fou, c’est d’amener des personnes en situation de handicap dans une salle d’escalade.

« Au début, les gens de la fondation n’y croyaient pas du tout ». Le projet a mis trois ans à émerger, puis Stéphanie a eu droit à des essais dans une salle avec des prises accessibles et abondantes. Elle embarque alors quelques personnes tenant sur leurs jambes et ayant la capacité de préhension (conditions minimales pour tenter une ascension). L’expérience est un succès, et l’activité physique devient plus fréquente dans l’institution. L’encadrement se passe de la manière suivante : Stéphanie grimpe à côté de la personne polyhandicapée afin de guider ses mains, d’assurer le placement de ses pieds, de la mettre en confiance. Même si, en fin de compte, c’est bien l’athlète handicapéꞏe qui pousse et tire sur ses muscles. De plus, deux autres individus doivent impérativement être présents pour assurer les deux gymnastes.

Ce qui ravit le plus Stéphanie, c’est que la salle est ouverte aux valides. Cela change des activités physiques toujours effectuées dans des groupes exclusivement composés de polyhandicapéꞏeꞏs. Le sentiment de se rapprocher de la norme se fait plus vibrant. « Et parfois, ils grimpent mieux que ceux et celles qui ont toutes leurs capacités ! » assène-t-elle fièrement. A sa plus grande surprise, un·e de ses élèves monte même désormais tout seul. Malgré tout, « le but n’est pas d’en faire des grimpeurs, mais de faire quelque chose de différent et d’emmener leurs capacités motrices au maximum de leurs potentialités ». Et les sourires sur les visages en disent long.

En-dehors de l’escalade, il existe toutes sortes d’engins aux noms fleuris qui permettent aux gens polyhandicapés d’expérimenter des sensations inhabituelles. D’abord, il y a le CIMGO, un VTT version fauteuil avec quatre roues où la personne handicapée est assise devant, et la personne valide pilote debout derrière elle. Puis il y a le Rollfiet, une version plus tranquille de vélo électrique adapté où la personne handicapée a la possibilité de pédaler aussi si ça lui chante. Enfin, il y a la joëllette, créée par un papa d’enfant handicapé au nom approchant, qui est un fauteuil installé sur une roue et qui nécessite deux pilotes (à l’avant et à l’arrière) afin de profiter des chemins caillouteux de randonnée inaccessibles en fauteuil roulant classique. D’autres projets vont également bon train, dans nos contrées ou par-delà la frontière française: voile, équitation, karting, cirque… Sans parler du Tandem Ski pour l’hiver.

Stéphanie renchérit que l’idée selon laquelle les polyhandicapéꞏeꞏs ne devraient pas avoir accès à tous les sports possibles et imaginables est, à son sens, complètement fausse. Il y a quelques temps, elle a réussi à organiser un concours de fléchettes avec des personnes qui étaient incapables de bouger leurs poignets. Elle a donc posé la cible au sol et installé un système de poulie afin que la flèche soit attachée au bout d’une corde et que la personne doive simplement lâcher la fléchette à ses pieds. Il semble qu’on puisse tout faire si on ne regarde pas la limite qui se dresse devant nous, mais bien ce qui reste possible. « C’est juste qu’il faut avoir l’envie, l’idée… et croire en eux ».

Le titre était-il donc une énième question de rhétorique destinée à être dézinguée ? Il semblerait. Et pour une fois, le sport ne m’apparait plus comme une assertion sociale pesante, mais comme un truc pour casser les barrières. Une sorte d’électuaire.

Fondation Echaud, Cugy
Stéphanie Renaud, responsable du sport et du groupe « Bali » au Centre d’Accueil de Jour

Crédits photo : Mur d’escalade de Chavornay, Office du Tourisme d’Yverdon-les-Bains