C’est au dernier étage mansardé du musée Gutenberg, que Souvenez-Moi, création du collectif fribourgeois Opus 89, nous amène à revivre nos amours perdues.
Sous le toit du musée Gutenberg, les livres côtoient maintenant un cheval à bascule et un piano, au milieu d’eux trône une table et un verre de vin. Voilà la scénographie minimaliste de la pièce Souvenez — Moi, nouvelle création d’Opus 89, entièrement jouée et écrite par Joséphine de Weck.
Le spectateur est emmené une heure durant pour une balade onirique. En face de lui, cinq personnages incarnent l’histoire d’une femme, qui, témoin d’un crime passionnel, reprend goût à la vie. «Je me suis rendue compte que l’on est extrêmement nourri par les personnes qui nous entourent, raconte Joséphine de Weck. Au point que l’on est plus une trace des autres que nous-mêmes. Qu’un acteur joue tous les personnages avait donc tout son sens. C’est comme si cette femme, qui joue ces cinq personnages, s’en rappelait et les imitait.»
Un spectateur de proximité dans des lieux insolites
Le collectif Opus 89 a été créé en 2013, par Joséphine de Weck. «Il regroupe plusieurs éléments, comme des expositions de photos, des créations théâtrales et d’autres projets variés, explique-t-elle. En ce qui concerne les créations, dont je fais partie, nous essayons toujours de travailler la relation au spectateur et de l’amener dans un lieu dans lequel on ne ferait habituellement pas de théâtre».
Le dernier étage du musée Gutenberg, voici donc le lieu, où l’on nous convie. «J’ai visité cet endroit et par la suite je me suis demandé quelle pièce je pourrais jouer ici», explique la comédienne. Intégrer le spectateur dans une ambiance est primordiale selon elle: «Nous avons une scénographie très pauvre, comparée à ce que nous aurions pu faire sur une scène neutre, ajoute-t-elle. Mais tout a été pensé pour cet endroit, de l’écriture jusqu’à la mise en scène.»
Le public assis, forme un cercle entoure de la jeune femme, qui raconte. «Il s’agit ici d’un public de proximité, explique Emmanuel Dorand, metteur en scène de la pièce. Il n’y a pas de scène surélevée, le rapport avec le spectateur est direct.» C’est notamment dans cette conception du spectateur que le metteur en scène et la comédienne se rassemblent. «Le théâtre de rue, le rapport direct avec le public, c’est ma tasse de thé», confie Emmanuel Dorand.
La présence du spectateur et son écoute sont primordiales. «Le public est mon partenaire de jeux, confie l’artiste. Je regarde une personne, je vois comment elle réagit et c’est comme s’il me lançait une balle pour continuer.» En plus du fil rouge de l’histoire, la comédienne et le metteur en scène, ont nourri leur travail d’improvisation. «Je récitais le texte et Emmanuel claquait des mains en disant: ‘Ris, Pleure, Chante’, je devais ainsi changer d’intention à chaque fois, explique Joséphine de Weck. À Bruxelles, j’ai beaucoup travaillé sur les sensations, au lieu des intentions. Il s’agit de savoir ce que le personnage ressent, comment il bouge et pas ce qu’il pense.»
De collage et d’associations d’idées
Souvenez-moi est une pièce en mouvement et en déconstruction. Elle déconstruit et repense les conventions théâtrales, mais aussi les genres. «Je suis beaucoup influencée par la nouvelle vague ou encore par les surréalistes, raconte Joséphine de Weck. J’aime l’idée de faire des montages, comme des collages, où il n’y a pas de logique claire.»
Les moments narratifs sont entrecoupés d’instants «d’errances». Moments musicaux ou corporels, il s’agit d’images laissant le rêve prendre le pas sur la réalité. «Nous avons beaucoup travaillé en faisant des improvisations, confie Emmanuel Dorand. Joséphine me proposait certaines choses et on les incluait à la pièce en les modifiant quelque peu.» En plus de laisser le spectateur reprendre son souffle, ces instants éclairent différemment la pièce, ils permettent d’y associer de nouvelles idées et de créer une ambiance globale, selon la comédienne.
Déconstruite et réagencée, parfois à l’encontre de la logique, la création invite à se laisser glisser dans un monde parfois inexpliqué. «Il ne faut pas être frustré, si l’on ressort sans avoir tout compris. Hier, un spectateur m’a dit qu’il s’est senti comme dans un rêve éveillé, je trouve cela très juste, conclut Joséphine de Weck»
- La pièce est présentée jusqu’au 8 juin au musée Gutenberg, à 17 h le dimanche et à 20h les autres jours.
Valérie Vuille