mueller-stahlJeudi soir, au Festival du film de Locarno, l’acteur Armin Mueller-Stahl recevait le Lifetime Achievement Award. Vendredi matin, il rencontrait les représentants de la presse pour exprimer quelques souvenirs intimes de sa vie et de sa carrière. Spectrum y était.

«Vous savez, je ne voulais pas devenir acteur. Je voulais devenir compositeur ou chef d’orchestre», commence Armin Mueller-Stahl. À 84 ans, l’acteur ne manque pas d’à-propos. Primé pour son œuvre – 60 ans de carrière dans le théâtre puis dans le cinéma – par le Festival du film de Locarno, il avait vendredi matin de nombreux souvenirs à partager.

Une enfance marquée par la guerre

Mueller-Stahl est en lui-même un résumé du turbulent 20e siècle. Son enfance, en Prusse orientale, connaît les affres de la Seconde Guerre mondiale. Jetée sur les routes par l’avancée des armées soviétiques, sa famille se retrouve à Berlin. Alors que son frère vient de mourir suite aux privations et à l’épuisement de la fuite, Armin Mueller-Stahl est enrôlé de force dans un «Panzervernichtungstrupp» (une unité d’enfants-soldats chargée de détruire les tanks soviétiques, ndlr). Il n’a que 13 ans. Il survit à la bataille de Berlin, mais ne retrouvera jamais son père, disparu quelque part sur le front de l’Est.

De cette période, Mueller-Stahl garde des souvenirs qui le hantent encore. Très affaibli, il succombe presque au typhus. «Je n’avais que la peau sur les os, je faisais peine à voir», raconte l’homme. Opéré à 14 ans dans des conditions catastrophiques, au milieu des ruines, il se souvient avoir souhaité la mort. « Et quand je me suis réveillé, j’ai regretté être encore en vie, se rappelle-t-il, visiblement ému. En ce temps-là, dans cette atmosphère de souffrance, la mort portait un visage amical, le visage de la rédemption».

Sa carrière commence dans le théâtre, à Berlin, alors qu’il a 20 ans. «Vraiment, j’étais un mauvais acteur de théâtre. Non seulement je suis tombé sur scène, mais une fois je suis tombé dans le public !, se souvient-il avec humour, avant d’ajouter : Mais je devais bien nourrir ma famille ».

Coincé en Allemagne de l’Est

Armin Mueller-Stahl se souviendra toujours du 13 août 1961. Ce jour-là, le jeune acteur de 29 ans se trouve à Berlin-Ouest, où habitent sa fiancée et son frère. Alors que l’Allemagne de l’Est ferme définitivement ses frontières avec la construction du Mur de Berlin, Mueller-Stahl doit prendre une décision qu’il sait essentielle. Veut-il rester à l’Ouest, ou rentrer à l’Est, où habite sa mère ? Il décide de rentrer à Berlin-Est. «Quand j’ai passé le poste frontière, et que la barrière s’est fermée définitivement derrière moi, je me suis assis au bord de la chaussée et j’ai pleuré», se souvient-il, tout en admettant que sa carrière dans le cinéma Est-allemand lui a ménagé quelques beaux rôles, notamment dans Fünf Patronenhülsen (1960), Nackt unter Wölfen (1963), et Das unsichtbare Visier (1973).

Une carrière bien remplie

Mais des 120 films qu’il a tourné, Mueller-Stahl estime qu’une poignée seulement sont de vrais chefs-d’œuvres. «Vous pouvez avoir le meilleur script, le meilleur réalisateur et les meilleures acteurs. Ça ne fait pas encore un bon film !», s’est-il exclamé, énumérant les quelques flops de sa carrière.

Expulsé par la RDA vers l’Allemagne de l’Ouest en 1980, Mueller-Stahl est aujourd’hui domicilié en Californie. «Ma patrie ? C’est ma famille : la fondation sur laquelle j’ai construit ma vie. Je suis Allemand de naissance, mais de conviction je suis citoyen du monde», explique-t-il.

«Vous savez, j’ai eu la chance de survivre à deux systèmes totalitaires. Le système que je vis aujourd’hui aux États-Unis, aussi imparfait soit-il, reste le meilleur que je connaisse», explique-t-il, se réjouissant de prendre bientôt sa retraite définitive, après une carrière bien remplie. Une carrière à laquelle le Festival du film de Locarno rend hommage en diffusant plusieurs de ses œuvres : Lola (1981), Utz (1992), et Shine (1996).

Va-t-il encore tourner quelques films avant son repos bien mérité ? «Deux scripts de film m’ont été présenté dernièrement. Je réfléchis déjà comment m’en débarasser», conclue Armin Mueller-Stahl avec humour.

Blaise Fasel