L’interaction Professeur–étudiant est traditionnellement à sens unique, ce dernier ayant tendance à recevoir passivement la connaissance de son pédagogue. Et s’il en en était autrement ?
Imaginons un monde dans lequel c’est la démarche intellectuelle des étudiants qui rythme les cours universitaires. Un monde dans lequel c’est l’étudiant qui donne au cours son contenu, et non pas le Professeur. Resterions-nous tout aussi silencieux ?
Nos auditoires, une réalité généralisée
Le silence. Ce bruit si familier qui hante nos auditoires quotidiennement. « J’ose poser une question ? Je la poserai à la pause, c’est peut-être mieux. » Force est de constater que l’étudiant s’exprime peu pendant nos cours universitaires. Il répond lorsqu’il est sûr de sa réponse, ou alors, lorsque son Professeur le désigne, « oui, vous Mademoiselle, auriez-vous la gentillesse de répondre ? Il faut bien que quelqu’un le fasse… ». Pourtant, la volonté du corps professoral est au rendez-vous. Toutes sortes de techniques didactiques envahissent les cours pour tenter de faire parler cet étudiant, si confortable dans son rôle de scribe.
Ce qui fait réfléchir, c’est que lorsque nous serons amenés à mettre en pratique nos connaissances, c’est avec notre expression orale qu’on le fera la plupart du temps. Avec notre maitrise de la rhétorique et de l’argumentation, nous serons dans l’obligation de présenter nos savoirs de manière claire et puissante. Mais quelle maitrise si elle n’est même pas exercée dans les auditoires ?
L’expression orale est souvent enseignée au Master. La Faculté de Droit propose les cours « expression orale » ainsi que « plaidoirie et argumentation » dans le cadre de séminaires, par exemple. Mais devrait-on envisager un cadre dans lequel la rhétorique n’est pas le contenu d’un cours spécifique, mais plutôt le moyen par lequel toute connaissance est véhiculée à l’université ?
Socratic Teaching – not the sage on the stage
Cette forme d’enseignement, aussi nommée « Socratic Method » constitue une technique d’apprentissage à part. Certains pédagogues estiment qu’elle a été utilisée dans l’enseignement depuis le temps de Socrate. Aujourd’hui, elle est surtout pratiquée aux Etats-Unis dans certains gymnases ainsi que dans quelques universités.
L’idée est de créer un véritable dialogue entre le Professeur et les étudiants, ainsi qu’entre étudiants. Tout participant au cours a la responsabilité de faire avancer la discussion, pour en tirer le maximum de connaissances. L’interaction générale est menée par le Professeur, qui incarne le rôle de leader, ou de modérateur. Il encadre la discussion, en la stimulant lorsque cela est nécessaire.
Certains experts en la matière expliquent que cette approche à l’enseignement a pour but d’imiter les pensées du cerveau, à plus large échelle. L’input des uns stimule la pensée des autres et forme peu à peu un réel point de vue critique. En participant à de telles conversations, l’étudiant explore ses connaissances, ainsi que celles des autres tout en s’exprimant, en argumentant, et en persuadant les autres. Le Professeur clôt la discussion en résumant les points importants, qui ont déjà été dits, bien sûr.
Une réelle option pour le système universitaire suisse ?
Il est vrai que de telles conversations sont alléchantes aux yeux de ceux pour qui le silence est insupportable. L’étudiant serait constamment dans un climat d’argumentation, obligé de défendre son point de vue, tout en le modifiant avec ce qui a été dit quelques secondes auparavant. Sa confiance en soi se développerait, et les présentations orales ne seraient plus synonyme de stress agonique. L’esprit d’équipe se verrait présent à tout moment en cours, ce qui permettrait certainement une interaction favorisée en dehors des cours.
Mais comment être sûr que toute la matière au programme serait couverte en cours ? Si c’est le participant au cours qui rythme les séances, qui le fait avancer, c’est extrêmement difficile d’assurer que tel contenu sera couvert à telle date. Comment convaincre les étudiants de s’exprimer, et à faire de cette théorie une réalité quotidienne ? Dans une perspective idéale, le système suisse pourrait introduire le Socratic Teaching de manière hebdomadaire par exemple, pour que l’étudiant soit contraint à stimuler sa pensée critique en cours.