La pandémie a mis en perspective notre manière de consommer et d’aborder la culture. Mise sous projecteur d’une situation plus complexe qu’il n’y paraît.

Le confinement a du bon pour les plateformes de streaming. Disney+ a gagné plus de 86,8 millions d’abonné·e·s en un an. Netflix peut se vanter de 15,8 millions au lieu des 8,2 millions attendus rien qu’au premier trimestre : 2 millions d’abonné·e·s juste pour la Suisse. Xavier Pattaroni, programmateur des salles Rex Cinemotion à Fribourg, ne sent cependant pas le cinéma menacé par le streaming. Il relève que, malgré cette augmentation de visionnage en ligne, le cinéma a avant tout un intérêt social : « Malgré toutes les installations maison, je suis confiant dans le fait que les gens auront envie de sortir. »

Le principe des fenêtres consiste à donner la priorité d’un film aux cinémas. C’est après qu’il y a un passage à la télévision, puis en VOD et enfin des sorties DVDs (si une demande existe pour ce type de média). « Les réalisateurs sont conscients des recettes non-négligeables », affirme Xavier Pattaroni. Universal a fait du bruit dernièrement puisque le studio a signé un contrat avec des exploitant·e·s qui permet à ces dernier·ère·s de diffuser après trois semaines seulement les films à la demande (VOD).  « Un film qui a marché en salle, marchera en VOD et un film qui n’aura pas marché en salle, ne marchera pas en VOD », explique notre interviewé. Exception faite s’il y a eu un buzz ou une polémique sur ledit film.

Les cinémas sont donc sous pression pour ne pas voir se réduire ces dites fenêtres : « Je suis convaincu que cela dénature le cinéma, si les studios de cinéma vont dans cette direction, nous négocierons les prix car il n’y a aucune raison pour nous de payer le même prix si nous n’avons pas l’exclusivité. » Le programmateur du Rex ne voit pas d’avenir dans ce concept : « Les salles de cinéma sont une vitrine publicitaire importante. Les studios le savent, et si en situation de crise, cette stratégie peut être un modèle nécessaire, ce n’est pas cette dernière qui va nous tuer. »

Le monde culturel n’a pas attendu la pandémie pour connaître la précarité.

Cinemotion, sur ses trois sites, compte une cinquantaine d’employé·e·s. Pour la majorité, il s’agit toutefois d’une activité auxiliaire, seul·e·s 14 d’entre eux·elles en font une activité principale. Le cinéma Rex a pu toucher les RHT et les assurances perte de gain. Ainsi, depuis le 18 décembre les auxiliaires qui ont un revenu inférieur à 3’470 francs touchent une indemnité de 100% en cas de RHT et un maximum de 3’470 francs en cas de perte de gain complète pour ceux dont le revenu se situe entre 3’470 et 4’340 francs. C’est plus compliqué en ce qui concerne les APG.

Un véritable défi pour toutes les personnes travaillant dans le milieu artistique comme les technicien·e·s lumière, son, les acteur·rice·s, comédien·ne·s et tant d’autres. Il faut se souvenir qu’il s’agit là d’un milieu qui travaille essentiellement sur mandat. Lors de la première vague, les théâtres et salles ont pu être indemnisés pour les représentations annulées. Les artistes ont donc pu toucher leur cachet. Une chose que la Confédération a toutefois omis de prendre en compte, c’est qu’aujourd’hui, plus aucun mandat n’est proposé aux acteur·rice·s culturel·le·s. La situation est bien trop incertaine pour cela. En somme, cela signifie qu’aucun revenu n’entre pour ces personnes : « Ceux engagés à l’année par une infrastructure (comme l’Equilibre) ont un salaire fixe, pour le reste, ça fragilise beaucoup de gens », confirme Xavier Pattaroni.

De l’optimisme vers l’au-delà

Le grand public a su montrer son soutien à Cinemotion : notre intervenant a reçu des dizaines de mails et a échangé dans la rue avec nombre de passant·e·s. Xavier Pattaroni propose aux intéressé·e·s d’offrir des bons, qui ont une durée de validité de 2 ans. Un bon moyen de partager sa passion pour le cinéma en attendant la réouverture des salles. Notre intervenant conclut avec ces mots : « Lorsque j’avais des baisses de motivation, j’aimais aller dans le corridor de la séance et observer les gens regarder l’écran. Le fait d’aller en salle est à la fois un effort, un acte politique, culturel et un partage d’émotion. Car au final, même si vous vous rendez à deux ou en groupe, même en étant tous ensemble, vous êtes seul face au film. Cette double dimension me motive. »