L’Eglise catholique est la plus grande Eglise chrétienne du monde avec plus d’un milliard de baptisés. Mais avec une déchristianisation générale commencée dans les années 70, quel avenir pour l’institution?
En 1969, 94% des jeunes Français étaient baptisés et 25% allaient à la messe tous les dimanches. De nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2% et les baptisés avant l’âge de 7 ans ne sont plus que 30% en France. Dans un contexte de pandémie, de crise migratoire, économique et sociale, après la grève des femmes du 14 juin 2019 et les grèves du climat, se pose la question de la spiritualité. Dans un monde aux changements de paradigmes rapides, la rédaction de Spectrum s’interroge sur le futur de la religion catholique. Rencontre avec Charles Morerod, dominicain et évêque depuis 2011 de Lausanne, Genève et Fribourg et Soeur Anne-Stéfanie, cistercienne à l’abbaye de la Maigrauge à Fribourg.
Sœur Anne-Stefanie, présentez-vous succinctement.
J’ai la joie d’être moniale depuis bientôt 30 ans. L’Abbaye a été fondée en 1255. Depuis une chaîne ininterrompue de sœurs s’y succèdent en intercédant pour toute l’humanité. Nous nous réunissons au moins 5 heures par jour pour la louange commune avec l’Eucharistie comme centre. En tant que cloîtrées notre vie est rythmée par la prière, la Lectio Divina, (lecture priante de la Bible) et notre travail : l’atelier des Hosties, un jardin potager, un petit magasin monastique et une hôtellerie ouverte à tous où les personnes peuvent venir se ressourcer.
Comment interprétez-vous ce phénomène de déchristianisation générale en Europe occidentale débutée il y a une cinquantaine d’années ?
Il est le reflet de l’évolution de notre société qui perd ses repères et donc le sens de Dieu. Sans Dieu – Jésus Christ, son Fils au centre – il n’y a plus de colonne vertébrale qui permet une structure et la cohésion de tous ses membres. Bientôt nous entrons en Carême. Il me semble que l’Eglise en Europe vit actuellement un temps de purification salutaire. Elle est plus humble, ose reconnaître ses failles et ses péchés et invite tous ses fidèles à se convertir et à se recentrer sur le Christ. Cette démarche de Vérité libère et rend tous les membres plus solidaires les uns des autres, et je l’espère, plus miséricordieux. Ce n’est pas le nombre qui est important, mais l’Amour vécu concrètement. Et je suis convaincue que le don de soi et la solidarité rayonnent et vont rejoindre à nouveau les personnes qui cherchent en vérité.
Que pensez-vous du New-Age et des nouvelles formes de spiritualité ?
Chaque personne cherche le sens de sa vie et désire le bonheur. Puisque beaucoup ne connaissent plus le Christ et son Amour inconditionnel pour chacun/e, elles cherchent à remplir le vide qu’elles ressentent par autre chose. Elles se tournent vers de nouvelles spiritualités et choisissent ce qui semble les combler, mais ne vivent pas la rencontre personnelle avec Jésus Christ. C’est comme ouvrir un frigo lorsqu’on a faim pour prendre un gâteau au chocolat : ce dernier va vous nourrir un temps, mais la faim va rapidement revenir. Leur désir fondamental d’être aimé et d’aimer reste inassouvi. Je pense que les personnes vont se retourner vers Dieu qui seul peut les sauver et ne plus se satisfaire des solutions faciles.
Comment abordez-vous le dialogue interreligieux ?
Les moines et moniales ont pris très au sérieux l’invitation du Concile Vatican II de s’engager dans ce dialogue. Deux de mes sœurs ont fait longtemps partie du DIM (Dialogue Interreligieux Monastique). En choisissant un thème, p.ex. la Miséricorde, chaque membre du groupe a pu partager sa vision de la Miséricorde de Dieu dans sa propre tradition. Nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres. Dorothée de Gaza, un moine du désert du 4ème siècle emploie l’image d’une roue. Celle-ci représente le monde avec au centre Dieu. Chaque personne avance sur un rayon, chacune selon sa voie et sa manière de vivre. Dans la mesure où elles s’approchent du centre elles s’approchent à la fois de Dieu et les uns des autres. Le centre c’est l’Amour – pour moi Jésus Christ- mais aussi pour les autres religions – c’est notre but commun et final. C’est sur notre manière de vivre dans l’amour que nous serons jugés à la fin de notre vie terrestre.
Quelle est la place de la femme dans l’Eglise catholique ?
L’Eglise est Mère par nature et les femmes donnent la vie par vocation. Leur place je la vois dans la perspective de la maternité et de la tendresse, de la transmission de la foi, du service et aussi dans la responsabilité partagée avec les ministres ordonnés et les autres hommes engagés dans l’Eglise.
A l’image de Marie, cœur du collège des apôtres, Mère du Christ et Mère de l’Eglise et de Saint Joseph son époux. Tous deux étaient à l’écoute de l’Esprit Saint et ont mis leur vie au service de Jésus et de l’annonce de l’Evangile. Tant de nos frères et sœurs en humanité souffrent et ont besoin de l’entendre : allons ensemble à leur rencontre ! A l’intérieur de l’Ordre Cistercien nous vivons une belle complémentarité entre moines et moniales, avec un chapitre général mixte. Tous les monastères sont liés entre eux par la Charte de Charité et la visite régulière se fait conjointement par un Abbé et une Abbesse. L’accueil mutuel nous fait grandir dans l’Amour du Christ et de nos frères et sœurs.
Comment interprétez-vous les scandales pédophiles révélés depuis une vingtaine d’années et comment la situation doit-elle évoluer ?
Les abus dans les domaines de la sexualité, de la conscience, du pouvoir sont révélateurs de la grave crise que traversent notre société et notre Eglise qui en fait partie intégrante. L’Eglise s’engage pour aider les victimes et va continuer à le faire. Reconnaissant que de telles blessures marquent à vie et que seule la tendresse de Dieu peut les panser. Tous les baptisés devraient vivre en cohérence avec leur baptême. Pour cela une formation intégrale et continue de tous, spécialement des prêtres et des agents pastoraux, de toute personne engagée dans la mission doit être maintenue. C’est un chantier en continuelle construction. Plus une personne vit en relation juste avec elle-même, plus elle la vit aussi avec Dieu et avec les autres.
Quelle doit être la place de l’Eglise catholique dans la société actuelle ?
L’Eglise comme Corps vivant de Jésus Christ et non comme « institution », ce à quoi beaucoup la réduisent souvent est comme le levain dans la pâte. Actuellement nous sommes moins nombreux. Mais vivre en chrétiens témoins crédibles de l’Evangile est essentiel et contagieux. La crise sanitaire que nous traversons montre bien combien la proximité concrète et spirituelle avec les personnes en détresse est importante. Je crois aussi beaucoup à l’importance des communautés religieuses et monastiques comme lieux où la foi est vécue au quotidien, où les personnes trouvent accueil et écoute et découvrent l’Amour du Père révélé en Jésus Christ pour chacun/e. C’est cela qui donne sens à chaque vie et pour cela la mission de tous les baptisés est plus actuelle que jamais.
Crédits photo: Abbaye Maigrauge Fribourg