Dans le cadre de l’exposition « Rupture », au Musée d’Art et d’Histoire à Fribourg, avait lieu le 8 mai dernier la pièce « Clôture de l’amour » de Pascal Rambert. Retour sur une pièce dense, à la mise en scène particulière.

Un tableau troublant

Ils sont deux. Stan et Audrey, face à face, aux abois. La pièce se déroule en deux temps. D’abord il parle, ensuite, elle répond – ils vont de pair, puisque tous deux esquissent le désastre de leur rupture, les deux faces d’une même pièce.

L’homme vocifère, déverse sa colère sur celle qu’il appelait autrefois « mon amour » et à laquelle il annonce simplement : « Je vais te quitter ». Pourtant, le plaidoyer s’éternise, au point de se demander ce qui justifie tant de haine, de rage et de cris. Cela tire presque au ridicule tant il semble désireux de déchirer sa femme.

Tout trouve cependant son explication dans la deuxième partie de la pièce. Sa compagne prend la parole et émerge alors une douce satisfaction. « T’as fini ? T’as tout dit ? » D’un calme olympien, elle le confronte, point par point. La haine se heurte à l’ironie, la colère au sarcasme. À l’homme hors de soi la femme répond, le ton mesuré – quoiqu’elle s’emporte légèrement parfois, c’est vrai. À d’autres moments, elle laisse entrevoir la douceur qu’elle garde en elle et qu’elle devra, peut-être, abandonner.

« L’amour. Un cadavre. Tu en portes la peau. »

Deux positions, l’un préfère oublier, l’autre veut se rappeler, qu’importe si ça fait mal. Qu’il garde les objets matériels, qu’il fuie si ça lui chante, elle choisira de garder les souvenirs. La relation se fait et se défait, les explications se dessinent, à la fois vagues et transparentes. Aux spectateur∙rice∙s de se demander à quoi avait bien pu ressembler leur relation avant la haine, avant le déclin. Finalement, il∙elle∙s n’en verront que les vestiges.

© Pierre-Yves Massot.

Un travail dans la sobriété et la profondeur

 Pas d’autre décor que les murs gris et leurs tableaux, un public disposé à 360° autour des comédien∙ne∙s… la pièce s’adapte à la salle d’exposition, au cœur-même du Musée d’art et d’histoire. Cette mise en scène, c’est l’œuvre de Yann Hermenjat, fraîchement diplômé de l’école de théâtre des Teintureries à Lausanne. Celui-ci a monté plusieurs spectacles depuis 2013 et a également proposé une pièce pour l’appel à projet du festival de Friscènes en 2020. La sobriété du décor était pour lui une évidence : « le Musée offrait un décor idéal pour cette séparation d’un couple d’artiste », explique-t-il. Il ajoute que la force du texte imposait une telle densité d’images qu’il ne s’agissait pas d’en rajouter avec le décor mais plutôt de les mettre en valeur, de « travailler à les faire entendre ».

Travailler sur la matière déjà présente, sur ce que provoquent les comédien∙ne∙s, voilà l’approche privilégiée par Yann : « Mon travail se focalise sur le jeu des interprètes, j’essaie de concentrer toute l’attention sur la prise de parole et les corps dans l’espace. » Ce choix cristallise d’ailleurs la force de « Clôture de l’amour » : même si les comédien∙ne∙s prennent la parole à tour de rôle, adopter le silence ne veut pas dire disparaître de la scène. La présence du corps, à peine mobile dans son mutisme, est d’ailleurs cruellement tangible. Leurs confrontations, leurs échanges et leurs évitements silencieux ont beaucoup à dire. Si ni Stan, ni Audrey, ne peut se soustraire au regard de l’autre, il∙elle∙s ne peuvent pas non plus échapper à celui du public. « Nous avions comme idée, dès le départ, de jouer proche du public, dans un rapport bi-frontal ou tri-frontal », explique Yann. Cette disposition circulaire, provoquée par la particularité du lieu, est venue enfermer le couple, donnant l’impression de les voir tourner en rond dans une arène. « Les interprètes ne peuvent pas se cacher, ni se reposer ou s’appuyer, il∙elle∙s sont acculé·e·s, tout comme c’est le cas dans la situation qu’il∙elle∙s traversent », ajoute-t-il. La violence de la confrontation mange l’espace et le∙la spectateur∙rice n’a alors que les deux interprètes sur qui focaliser son attention.

Deux visions nées d’une rencontre

Derrière la posture des deux personnages, entre la rage de l’un et le sarcasme teinté de douceur de l’autre, se cachent deux visions de l’amour très différentes. Mais selon Yann, leur attitude diffère « également à cause de leur rôle dans la rupture ». Stan est celui qui met un terme à la relation, « il parle pour trouver la force de rompre », tandis qu’Audrey cherche à encaisser la violence et « réplique en convoquant toute la puissance de l’Amour, en lui faisant comprendre qu’il n’est pas prêt pour vivre cet Amour ». Leurs personnalités restent cependant volatiles, puisqu’il s’agissait plutôt de « trouver comment les comédien·ne·s pouvaient laisser les mots agir sur eux et les transformer ». Les personnages de Stan et Audrey, très versatiles, peuvent alors passer librement d’une émotion à une autre. Les mots prennent de plus en plus de poids et cette dynamique conflictuelle crée alors la rupture explosive qui se déroule sous les yeux du public : crue, sans détour, violente.

« Cette vie

notre vie avant toutes ces vies toutes ces vies je ne

vais pas les vivres avec toi Audrey

pas avec toi

j’ai fini

j’ai bientôt fini

je ne t’aime plus voilà tout

tout ce que je t’ai dit là je ne l’ai pas dit contre toi

je te l’ai dit il a fallu que je te le dise pour en arriver à

cela

je vais partir Audrey je te quitte je pars

toute cette vie que nous devions vivre ensemble je vais

la vivre ailleurs »

Mise en scène: Yann Hermenjat

Interprétation: Joséphine de Weck et Patric Reves

Costumes: Marie Romanens

Crédit photo: Pierre-Yves Massot

Les représentations de ce printemps sont déjà terminées, mais « Clôture de l’amour » revient dans le cadre de l’exposition à la rentrée 2021, dès le 16 septembre. Si la pièce vous intéresse, les réservations sont possibles selon les modalités indiquées sur le site du Musée d’Art et d’Histoire :

https://www.fr.ch/mahf/actualites/cloture-de-lamour-de-pascal-rambert.