Röstigraben, pas de quoi en faire tout un plat
Spectrum se questionne sur les différences culturelles que dénonce une expression utilisée aux quatre coins de la Suisse : le Röstigraben
Métaphores culinaires
La « Tortilla Curtain » (ou rideau de tortillas), fait allusion à la frontière entre le Mexique et la Californie. Les anglais·e·s, de leur côté, déjà surnommés « rosbifs » par leurs voisin·e·s français·es, affublent ces dernier·ère·s de « frogs », autrement dit de « mangeur·euse·s de grenouilles », en référence aux habitudes gastronomiques de leurs voisin·e·s d’outre-Manche. Il est commun d’user de métaphores gastronomiques pour souligner les différences culturelles au sein d’un pays. La Suisse n’échappe pas à la règle en se servant d’un plat national à base de pommes de terre pour nommer le clivage de mentalité entre la partie francophone et germanophone du pays ; « la barrière de rösti » en Romandie, « der Röstigraben » en Suisse alémanique, « il fossato dei rösti » au Tessin et « foss da la rösti » aux Grisons. Toutefois, depuis une dizaine d’années, la pratique tend vers une utilisation généralisée de l’expression germanophone.
Le terme « graben » peut se traduire par le mot « fossé ». La racine latine de « rösti » quant à elle, est un dérivé de « rösten » qui signifie griller. Elle met l’emphase sur la circulation des expressions et démontre la perméabilité des frontières entre les régions. Cerise sur le gâteau, ce plat est cuisiné aux quatre coins de la Suisse.
Clivage politique
La Suisse, foyer multiculturel, multiconfessionnel et multilingue, tire sa richesse de la diversité. Telle une famille vivant en harmonie lors de jours radieux, en cas de tempête le ton peut hausser. Les dernières votations illustrent ce clivage politique net comme il est possible de le constater sur la carte bicolore de l’OFAS, l’Office Fédéral des Assurances Sociales. Le rouge bordeaux domine le versant ouest de la Suisse avec une majorité de « NON » pour la réforme de l’AVS 21. En avançant vers l’est, la majorité des voix devient progressivement positive pour la modification de la loi. Cette scission n’est pas une surprise pour Alain, 25 ans : « les Alémaniques ont tendance à respecter les règles, à être ponctuel·le·s et à suivre les recommandations politiques de l’État […] pour le bien de notre pays. »
Le Röstigraben se ressent-il au quotidien lorsqu’on vit en Suisse ?
Alain, 25 ans, romand :
« Oui, il y a une différence dans les lieux fréquentés par exemple. Certains bars sont plus généralement occupés par des francophones, tandis que d’autres établissements vont plutôt accueillir une majorité d’Alémaniques. Par conséquent, l’ambiance et les comportements y sont différents ».
Léo, 26 ans, romand :
« Le Röstigraben se ressent physiquement au travail, à l’école, partout. Les mentalités sont différentes. On s’aime beaucoup, on s’apprécie, mais – malheureusement – on ne se mélange pas. Alors que les romand·e·s prennent des pauses plus longues, ne respectent pas les horaires et parlent H24, les suisse-allemand·e·s ont tendance à respecter les règles et à se faire plus discrets, mais il·elle·s sont peut-être aussi plus loyaux·ales les un·e·s envers les autres, comme il·elle·s le sont envers les lois ».
Est-ce que c’est bien le Röstigraben ?
Tania, 24 ans, romande :
« Ce n’est pas quelque chose de positif. Ça divise alors qu’on vit une époque où le monde a plus que jamais besoin d’unification. Ce n’est pas qu’une question de langue, c’est un lifestyle. Les cultures sont des croyances de représentations populaires qui vont influencer les comportements. Autrement dit, la langue est une culture qui mène à penser différemment. Le Röstigraben crée donc des sous-cultures et des comportements différents à cause de croyances différentes ».
Léo, 26 ans, romand :
« J’adore, le Röstigraben. Quand tu accostes quelqu’un dans la rue en Suisse – et surtout dans une ville bilingue – tu ne sais jamais s’il va te comprendre ou te dévisager. Ça ajoute un peu de piment à la vie ».
Au final…
Le Röstigraben ne semble donc pas faire l’unanimité parmi les personnes interrogées. Toutefois, il sait unir la Suisse lorsque, dénuée de sa « barrière », le rösti se retrouve dans l’assiette.