Qui peut prétendre savoir? Les physiciens, les chrétiens, les intelligences artificielles? François Gauthier, professeur en sciences des religions, explique en quoi le savoir est une construction et ne doit pas être confondu avec la vérité au sens absolu.

 

 

Notre société numérique ne supporte plus de ne pas savoir. Au moindre doute, à la première colle ou lacune, nous faisons appel à Wikipédia, ChatGPT ou autres stocks de savoir en ligne. En quelques clics, la lacune est comblée. Nous nous fions à ces technologies car le contenu qu’elles dispensent repose sur des sources perçues comme crédibles, elles-mêmes basées sur la grande gardienne de la connaissance : la science.

Mais pourquoi fait-on aveuglément confiance à la science? Les tests, expériences ou encore une mention peer-reviewed – révisé par les pairs – suffisent-ils à garantir la véracité d’une information? N’oublions pas que des théories scientifiques majeures ont déjà été remises en question, voire carrément abandonnées, comme le modèle physique de géocentrisme, selon lequel la Terre se trouve au centre de l’Univers. Alors si même la science, censée détenir et délivrer le savoir, peut se tromper, comment peut-on tenir une quelconque information pour vraie? Comment peut-on être sûr·e de quoi que ce soit?

 

La vérité n’existe pas

La réponse nous est délivrée au cours d’un entretien avec François Gauthier, professeur en sciences des religions à l’Université de Fribourg : on ne peut être sûr·e de rien. Et pour cause : il n’y a pas de vérité, ou plutôt il n’y a pas une vérité. Ce que nous tenons pour certain est façonné par nos perceptions et nos valeurs. « Nous voyons le monde à travers nos croyances comme à travers des lunettes », explique le socio-anthropologue des religions. Ainsi, comme le soulève la théorie de la relativité, il y a toujours une part de contextualité dans ce que nous savons. Une information considérée comme vraie dans un certain cadre ne vaudra pas pour toutes les situations. De même, elle n’entre pas forcément en contradiction avec d’autres faits valides dans d’autres contextes – autrement dit, avec d’autres vérités.

Certain·e·s affirment pourtant détenir la vérité, absolue et objective : les adeptes de théories du complot par exemple, persuadé·e·s d’avoir compris quelque chose qui échappe au commun des mortels. Mais c’est également le cas dans la tradition chrétienne, selon laquelle la foi ne relève pas simplement du fait de croire, mais de croire si fort que l’on sait. Le récit fondateur du christianisme, à l’inverse des autres religions, est ainsi présenté comme une vérité unique et historique. C’est d’ailleurs de là qu’est née l’idée d’une vérité absolue, qui s’opposerait à d’autres versions et conceptions du monde. « Mais le texte biblique est un mythe », soutient le professeur. « Et le propre du christianisme, c’est de nier que c’est un mythe ».

 

 

« On peut tuer au nom de la vérité »

François Gauthier, socio-anthropologue des religions

Or, être persuadé·e qu’on détient la vérité peut s’avérer problématique. Dès le moment où l’on pense savoir, on adopte une posture fermée à l’égard des idées nouvelles et on voit le monde comme à travers un filtre, celui de nos croyances. Il devient alors difficile d’accepter que tout le monde n’ait pas la même conception des choses. François Gauthier, dans une autre entrevue accordée au magazine Universitas en 2022, explique que de plus en plus de jeunes catholiques, notamment chez les pentecôtistes et évangélistes américains, lisent la Bible de manière « littéraliste et fondamentaliste », en croyant tout ce qui y est écrit. Le professeur y voit là un danger de taille : « À partir du moment où on pense qu’on a la vérité, celui qui ne pense pas comme nous, on peut l’exterminer. On peut tuer au nom de la vérité. Dans les siècles passés, on a d’ailleurs allègrement tué au nom de la vérité du Christ».

Il est donc important de garder à l’esprit que le savoir, aussi sûr qu’il paraisse, est ancré dans la subjectivité et résulte d’une construction. S’il est valide dans un cadre donné, il ne représente pas pour autant la vérité unique et absolue. Alors adoptons une posture ouverte – mais critique – envers les informations que nous recevons, reconnaissons notre ignorance, et même, réjouissons-nous-en! C’est cette conscience de l’incertitude qui nous permet de continuer notre quête du savoir. Comme Socrate l’a dit, tout ce que nous savons, c’est que nous ne savons rien. Mais la question qu’on se pose alors : peut-on être sûr·e de cela?

 

Texte : Tanja Maeder

Illustration : Noor Amdouni