Depuis que la crise sanitaire s’est emparée de la Suisse, les hôpitaux s’inquiètent : le matériel manque, les lits se raréfient et le personnel s’épuise. La faute à qui ?
Les soignant·e·s luttent depuis des années pour une revalorisation de leur métier et pour obtenir plus de moyens. Alors comment expliquer leurs conditions actuelles ?
Pendant de longues années, la croissance du PIB a permis en Suisse de compenser l’augmentation continuelle des dépenses de la santé. À partir du début des années 1990, les coûts de la santé augmentent plus que le PIB. Il a donc fallu que les assurances privées et les collectivités publiques paient la différence. Mehmet Sonmez, de l’Université de Lausanne, a publié un Mémoire d’administration publique en 2014 sur la planification hospitalière. Découvrez, grâce à son travail, les décisions passées dont nous payons aujourd’hui les conséquences.
Une histoire de sous
De 1960 à 1996, les progrès de la médecine et la croissance économique permettent d’abord l’ouverture de sites hospitaliers un peu partout. C’est durant cette période que les spécialistes financiers et les assureur·euse·s commencent à fustiger la gestion publique de l’argent du contribuable. L’introduction de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) pousse ainsi à une centralisation progressive et rationnalisée des hôpitaux. L’objectif est de maîtriser les coûts, c’est-à-dire de les réduire au maximum au nom de la rentabilité : « Ceci a permis de diminuer le nombre des administrations hospitalières de 406 en 1997 à 283 grâce à des fusions et des fermetures. De 1998 à 2011, le nombre de lits d’hospitalisation est réduit dans l’ensemble des hôpitaux, passant de 45’189 à 38’533 (soit -15 %) », peut-on lire dans le rapport de Mehmet Sonmez. Ceci permet à l’État d’économiser des millions de francs, qu’il a constitués en réserve.
« Le passage du système de financement basé sur les coûts au système de financement basé sur les prestations a conduit à un recul de la durée moyenne de séjour », écrit Mehmet Sonmez. Autrement dit, on ne finance plus les soins selon ce que ça coûte, mais selon ce qu’on fait aux patient·e·s. Seuls les gestes « nécessaires » sont donc financés et doivent être réalisés le plus vite possible. Entre 1998 et 2011, la diminution du temps passé à l’hôpital pour les patient·e·s a diminué de 15%. La logique économique est la suivante : pourquoi garder tous ces lits que l’on s’évertue à vider le plus vite possible ? Avant 2012, les soins aigus étaient rémunérés selon le forfait journalier : plus le séjour était long, plus le chiffre d’affaires était élevé. Depuis l’introduction des forfaits par pathologie avec des durées de séjour standardisés, les hôpitaux sont incités à réduire leur durée de séjour, sous peine de pénalités financières.
Les répercussions en temps de pandémie
Quelles conséquences actuelles constatons-nous, en temps de pandémie ? Voici mon opinion personnelle : en pleine crise du Coronavirus, ces lits qu’ils nous ont refusés nous manquent ; les respirateurs que nous aurions pu nous fournir avec plus de moyens nous manquent ; les masques et les désinfectants manquent. Enfin, les soignant·e·s ne sont pas assez nombreux·euses et s’épuisent. Pourquoi l’hôpital est-il dans le rouge ? Non pas parce qu’on « jetterait l’argent du contribuable par les fenêtres », mais tout simplement parce que nous leur demandons de courir un marathon à cloche pied avec une enclume. Offrons-nous la chance d’être soigné·e·s tous et toutes dignement par des personnes correctement rémunérées et traitées.
Quand on vous dit que l’hôpital coûte trop cher, rappelez-vous cette leçon : l’hôpital public n’a que les moyens qu’on lui donne.