Amateurs de belles tragi-comédies bien calibrées passez votre chemin! «La Reine de Beauté de Leenane» n’est pas de ces pièces qui attendrissent et noient le spectateur sous une averse mielleuse de bons sentiments déclenchant rires et pleurs à la moindre sollicitation. En revanche, si vous aimez l’humour grinçant, l’Irlande et les intrigues psychologiques sombres, cette pièce est faite pour vous!
Première pièce d’une trilogie portant sur le Connemara profond, «The Beauty Queen of Leenane» a été écrite en 1996 par l’Irlandais Martin McDonagh. Après une belle tournée au Royaume-Uni et en Irlande, la pièce est traduite en français et jouée pour la première fois à Paris en 2003. Sous la houlette d’Olivier Wicht, le Théâtre de la Cité inaugure l’année 2013 avec cet huis-clos violent et intimiste.
L’entier de la pièce se déroule dans une cuisine suintant la misère, où les nappes cirées disputent l’attention à un patchwork criard sous le tic-tac lancinant d’une horloge de cheminée. C’est ici que la vie d’une vieille fille devenue la servante d’une mère impotente et manipulatrice va prendre un tour des plus dramatique. Entre les volontés de liberté croissante de la fille et le besoin constant d’attention de sa vieille mère, le spectateur se trouve plongé dans un drame social malsain. La mère ment et calomnie sa fille qui n’hésite pas à se venger des mesquineries de son opiniâtre génitrice. Ces dernières qui lui font perdre l’opportunité d’échapper à l’étiquette de «vieille fille» qui lui colle à la peau.
Les silences, que l’on peut parfois trouver pénibles, prennent justement de la consistance et expriment autant que les tirades enfiévrées. Cette ambiance si particulière est encore renforcée par l’horloge qui scande les moments de tension de la pièce. Bien construite malgré quelques longueurs, la trame renvoie le spectateur d’un rebondissement à un autre jusqu’à un dénouement que l’on pressent dramatique. Les nombreuses focalisations sur des éléments dont on ne peut que deviner l’importance à venir donnent une dimension littéralement tragique à la pièce.
Cependant, les petits moments de musique entre les scènes gâchent en partie le plaisir que l’on peut ressentir à se plonger dans une telle intrigue. En effet, au silence ou à des chutes de scènes évocatrices succède brutalement et sans préavis de la musique n’entretenant qu’un lien thématique vague avec la pièce. Le résultat en est que le spectateur, ramené par la force des choses hors de la pièce se sent au croisement d’un mauvais mélo de télévision et d’une salle d’attente de cinéma dont les hauts parleurs crachotent une musique en attendant le film.
Ce bémol rend les fins de scène pénibles mais ne gâche en rien la puissance évocatrice de la pièce. Le spectateur sensible à ce genre de drames sociaux ressortira avec une belle dose d’émotions. Lorsque les rideaux se ferment définitivement sur le rocking-chair au plaid de patchwork, on sent comme un vent glacial sur l’échine et l’on a aucune peine à s’imaginer sur une lande tourbeuse émergeant d’un paysage brumeux.
La Reine de Beauté de Leenane, du 22 février au 10 mars (vendredi/samedi 20h30, dimanche 17h30), 18.-/13.- (tarif réduit), résa: 026 350 11 00.
Florian Mottier