Les méfaits du soleil sur la peau ne sont plus à démontrer. Ce que l’on connait moins, c’est l’impact encore plus néfaste du décalage horaire sur la sensibilité de notre épiderme.
Ça y est, les vacances sont finies. Nos heures de farniente au bord de l’eau ne sont plus désormais qu’un souvenir. La plupart d’entre nous avons pris soin de ne pas attraper de coups de soleil, que ce soit au bord du lac de Neuchâtel ou sur la plage de Miami. Mais attention, décalage horaire et séance de bronzage ne font pas bon ménage.
En s’exposant trop vite au soleil après notre arrivée sur place, nous encourons un double danger: les méfaits des ultra-violets (UV) sur la peau en général auxquels s’ajoute un système de réparation cellulaire rendu inefficace par le décalage horaire.
Pour mieux comprendre ce phénomène, nous vous proposons un détour par le laboratoire d’Urs Albrecht, professeur en biochimie à l’université de Fribourg et spécialiste de la question circadienne.
La peau, comment ça marche?
La peau est composée de trois principales couches de cellules. La surface est constituée essentiellement de cellules mortes qui, petit à petit, se détachent de l’épiderme. La couche du dessous est composée de cellules qui migrent lentement vers la surface. Et la couche la plus profonde abrite les cellules souches épidermales. Celles-ci ont pour mission de se diviser et de se spécialiser de manière contrôlée afin compenser la perte quotidienne de cellules à la surface.
Il est nécessaire que les divisions compensent exactement les pertes, ni plus, ni moins. Si les cellules souches se mettaient à se diviser trop rapidement, il y aurait développement d’une tumeur. Et si elles ne se divisaient pas assez vite, le renouvellement et la bonne fonction de la peau seraient mis en péril.
Les UV attaquent, les cellules contre-attaquent
Lorsque la peau est exposée au soleil, les UV traversent la couche des cellules mortes de surface et atteignent les cellules vivantes sous-jacentes. Les rayons entrent jusque dans leur noyau et peuvent léser l’ADN qui s’y trouve. Les hélices d’ADN sont alors tordues et il devient impossible pour les cellules de lire les informations dont elles ont besoin pour continuer à faire leur travail correctement.
Notre peau a développé un système de réparation de l’ADN: une machinerie très sophistiquée parvient à redresser les brins d’ADN qui deviennent alors à nouveau lisibles pour la cellule. Ce système n’est cependant pas infaillible. Il arrive que la réparation se fasse mal et que de mauvaises pièces de rechange soient installées. C’est ce qu’on appelle des mutations. Celles-ci peuvent apparaître dans des endroits de l’ADN qui, soit ne portent aucune information, soit portent des informations inutiles pour la cellule en question, soit portent des informations essentielles pour la cellule. Dans les deux premières situations, la mutation n’a aucun effet et le problème passe inaperçu. Dans la troisième situation, deux événements peuvent se produire: la cellule se «suicide» (apotpose cellulaire) sous les ordres d’une sorte de police cellulaire, ou alors la cellule échappe à la surveillance et commence à devenir comme folle, se multipliant rapidement et accumulant les mutations. Les mutations se transmettant de la cellule mère aux cellules filles, il y aura de plus en plus de cellules avec de plus en plus de mutations. C’est de cette manière que se forme une tumeur.
Plus le système de réparation est utilisé souvent, plus la probabilité de voir une mutation apparaître augmente.
L’horloge interne : chef d’orchestre cellulaire
Le rythme des divisions et des spécifications des cellules souches, de même que l’activation du système de réparation de l’ADN sont dirigés par l’horloge interne. L’horloge interne est présente dans chaque cellule de notre corps. Concrètement, il s’agit d’une chaîne de protéines qui s’activent et s’inactivent les unes après les autres. Cette chaîne forme un cycle qui nécessite vingt-quatre heures pour boucler la boucle. L’horloge interne est sensible à la lumière du jour, à notre rythme de sommeil, au rythme auquel nous prenons nos repas et à quantité d’autres événements qui ponctuent notre quotidien. Cette harmonie est fragilisée lorsque nous sommes souvent et trop longtemps sous l’emprise du stress. Celui-ci libère des substances dans notre corps qui influencent les protéines composant la chaîne du cycle.
Division et réparation cellulaire à la botte du même patron
Notre rythme de vie a donc une influence sur la division et la prolifération des cellules souches de notre peau et de toutes les autres cellules de notre corps. Et un dérèglement de notre horloge interne peut induire des maladies. On voit ici toute l’importance d’un rythme de vie régulier, d’un sommeil régulier, des repas pris à intervalles réguliers, etc.
Quant au système de réparation de l’ADN, il n’est activé que lorsque l’horloge interne se trouve dans sa phase « jour ». En effet, durant la nuit, aucun UV n’atteint la peau. Il est alors inutile d’effectuer ce type de réparation sur l’ADN. Imaginons maintenant que nous partions en vacances en Australie. Sur place, le décalage horaire est de huit heures. Ceci veut dire que, lorsque il fait jour et que le soleil brille, notre horloge interne se trouve dans sa phase « nuit ». Or dans la phase « nuit », le système de réparation de l’ADN est inactif. Il suffit alors que notre peau soit exposée au soleil pour que les brins d’ADN se tordent sans qu’ils ne puissent être redressés.
La prudence est de mise
Avant d’envisager s’exposer au soleil, sur la plage, il faudrait donc attendre au moins une semaine afin de laisser le temps à notre horloge interne de se mettre en phase avec l’horaire local.
Un bon prétexte pour planifier des vacances plus longues, avec une semaine de visites culturelles avant la plage. Sans oublier couvre-chefs et chemises à longues manches !
Pour plus de précisions:
http://www.pnas.org/content/109/29/11758.figures-only
http://www.nature.com/nature/journal/v480/n7376/full/nature10649.html
Carole Dupont