Interview de Daniel Touati, réalisateur de Frère et Sœur.

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Spectrum : Comment avez-vous eu l’idée de travailler avec des enfants ?

Daniel Touati : Initialement, je n’avais pas l’idée de faire un film avec deux enfants, ni sur la relation fraternelle. C’est le fait d’avoir rencontré Cyril et Marie, qui m’a donné envie de faire le film. Je ne les connaissais pas et on s’est rencontré par un ami commun avec leurs parents. Quand je les ai vu arriver en courant j’ai tout de suite été très marqué et ému par leur dynamique presque musicale et par leur très forte complicité. J’ai eu envie de parler de ce lien fort entre eux. C’est à partir de là, qu’on a commencé à tourner pour voir ce qui pouvait se passer.

Votre premier film Santaella, parle de la guerre civile en Espagne. Avez-vous abordé les deux sujets de la même manière ?

Dans mes deux films, le pari que l’on a fait était de montrer ce qu’il y a de plus beau, de plus profond dans l’humanité d’une personne. Le grand défi de Frère et Soeur était de savoir comment faire un documentaire, qui ne soit pas sur un sujet dramatique, mais un film sur deux personnages, qui soient a priori heureux dans la vie, sans qu’il devienne une comédie, ou qu’il soit mièvre ou naïf. Voilà la grande difficulté du tournage : arriver à trouver dans des gens «normaux» mais étonnants, ce qu’il y avait de plus profond, pour en faire des gens extraordinaires dans leur normalité et dans leur rapport au monde.

Pourquoi avoir décidé de focaliser spécifiquement sur les enfants ?

Une seconde de réalité est absolument infinie. On pourrait passer des milliards d’années à en parler. Il faut bien choisir un angle d’approche et éliminer des choses. Pour moi, le plus important, c’était la force du lien qui existe entre ces deux enfants : leur complicité, leur imagination et la manière, dont ils grandissent ensemble. J’ai donc décidé d’écarter l’école, les amis, une certaine partie de la vie familiale et les parents. Les parents, on ne les voit pas mais ils existent au son. C’est donc plus des impressions de parents, que des parents réels. Cela donne de la place au spectateur. Chaque personne, qui voit le film peut y voir les adultes de son choix.

Le spectateur justement, quel rôle a-t-il ?

Il a un rôle d’interprétation. Les scènes sont simples et claires, pour laisser cette place à l’interprétation. Comme c’est un film qui parle de l’enfance et qui parle de grandir, il fallait aussi ménager des ellipses, que chacun puisse mettre ce qu’il veut dans ces moments du film. Le film existe donc autant dans ce que l’on ne voit pas que dans ce que l’on voit. Chaque spectateur peut y mettre sa propre enfance, ses propres relations frère sœur, voire ses propres relations d’amour. C’est un film ouvert.

Comment s’est passé le travail avec les enfants ?

Nous étions une petite équipe de 3 personnes : Moi, Ruiz de Somocurcio et Rémi Chanaud. Je pense, que dans le documentaire il est aussi important de choisir les gens pour leur qualité technique que pour leur finesse psychologique. On était comme un petit groupe, un petit paquet de personnes discrètes avec eux. Il y avait, une personne pour l’image. Moi souvent je cadrais et la personne m’aidait à faire le point avec la caméra. Un ingénieur du son était en permanence au dessus d’eux avec une perche. Il a donc fallu les habituer à cela. Avec la caméra, ils étaient d’emblée très à l’aise.

Vous les regardiez jouer ? Comment faisiez vous ?

Au-delà du fait qu’ils se sentent bien, il fallait arriver à obtenir des choses importantes et pouvoir être là dans des moments importants. Le tournage s’est fait sur 1 ans et demi. ça demandait de la patience. Souvent, on passait peut-être 6 heures à genoux à jouer au lego avec eux pour qu’au bout de la sixième heure il se passe quelque chose. Là, je me reculais un peu, on enclenchait la caméra et on filmait une demie heure. Ensuite, on rejouait avec eux 3 heures de plus. C’est beaucoup de temps, beaucoup de calme et beaucoup de confiance réciproque avec eux. Je pense que j’ai essayé de les mettre à l’aise mais eux m’ont également mis à l’aise. J’ai un rapport avec eux qui est presque familial maintenant.

Après le tournage que ce passe-t-il ?

On a tourné une petite centaine d’heures sur un an et demi. Ce qui est à la fois beaucoup mais classique dans le documentaire, et ce qui explique qu’il reste après une grande part de liberté et d’écriture au montage. Pour la sélection, j’ai travaillé avec une monteuse qui s’appelle Camille Cotte. Le travail avec elle a été passionnant. On était d’accord dès le début de faire un film qui soit simple, qui soit comme un morceau de vie dans lequel on rentre de manière brute pour en sortir de la même manière. On a par exemple choisi de ne pas ajouter de la musique.

Mais la musique a un rôle très important dans le film ?

Oui, c’est un film qui parle énormément de musique. C’est des enfants passionnés par la musique et c’est presque leur langage commun. C’est en note qu’ils se parlent. Plus cela avance plus ces notes maladroites prennent de l’assurance. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai gardé les leçons de piano et tous ces moments.

Propos recueillis par Valérie Vuille