A l’occasion du festival FriScènes, Spectrum a assisté à la pièce «La nuit juste avant les forêts». Réaction sur un monologue fleuve.
«La nuit juste avant les forêts», c’est d’abord le dépouillement d’un monologue fleuve d’une heure. Présentée comme un «texte en forme de déclaration d’amour désespérée qu’un homme adresse à un inconnu», cette pièce de 1977 écrite par Bernard-Marie Koltès, surprend par la puissance du verbe qu’elle exsude. L’acteur, Olivier Yglesias, seul face au public se lâche dans une logorrhée puissante. Il y parle de son sentiment d’étrangeté face au monde, des putes qui mangent la terre des cimetières et des loubards qui cassent du minet dans le métro.
Le grand intérêt de la pièce réside dans le sentiment de spontanéité qui imprègne tout le monologue. Pas de beau style ou de rhétorique subtile! Ici règne l’oral pur, émancipé des servitudes et contraintes de l’écrit. Le discours revient perpétuellement à lui-même dans une spirale qui ne craint ni de se répéter ni de se contredire pour finalement exprimer l’étrangeté de l’Homme face à lui-même et face à l’Autre. Si l’on sent que la pièce a été écrite dans les années 70, de par ses références à l’Internationale ou aux généraux de Méso-Amérique, elle reste néanmoins tout à fait actuelle puisqu’elle traite de la condition humaine.
Il est également très intéressant de remarquer comment le public est à la fois intégré et mis à distance de ce monologue. S’il est présent tout au long de la pièce, presque comme le deuxième personnage («Camarade!»), il n’en demeure pas moins que l’acteur débite son texte comme si le public n’existait pas, contrairement à un one man show dont on est loin.
C’est peut-être là le seul reproche qu’on peut formuler à l’égard de cette pièce. Olivier Yglesias attaque ce monologue avec une diction extrêmement puissante et n’en démord qu’à de rares moments. Du coup, malgré l’intensité du jeu et de la diction, ce monologue aurait probablement gagné à être un peu nuancé, à jouer davantage sur le silence. Cependant, là encore, peut-être exprime-t-il l’impossibilité de se taire et la révolte face à cette universelle solitude.
Florian Mottier