En ce moment dans les salles, le film « La Vanité ». Spectrum a pu rencontrer la personnalité qui se cache derrière la caméra.

Spectrum : Votre film a été présenté à la Piazza Grande de Locarno lors du dernier festival, quel effet ça fait ?

L. Baier : Je suis vraiment content et flatté, mais ça me fait toujours bizarre parce que voir mon film sur la Piazza ne procure pas du tout le même sentiment que dans un salle fermée. Dans une salle fermée on sent la salle vibrer et on peut comprendre comment elle réagit. Quand « Les Grandes Ondes » avaient été diffusé sur la Piazza j’avais l’impression que le film avait pas du tout été apprécié parce que je ne sentais pas les rires, c’était très troublant.

A présent vous avez fait plusieurs avant-première, en France et en Suisse vous avez pu cerner le public ?

Je commence à comprendre les réactions, le film est sorti en France au début du mois de septembre donc j’ai beaucoup entendu comment les Français réagissaient et là je découvre depuis quelques jours et les questions qu’ils posent à la fin.

 

Y a-t-il des différences ?

Oui les Français étaient très intéressés à avoir des renseignements sur le suicide assisté parce que ce n’est pas légal chez eux, c’était une préoccupation assez grande de savoir comment ça marchait, etc.. Et les Suisses ont ce truc assez amusant de se poser des questions sur la géographie « Pourquoi vous filmez Lausanne ? ». C’est très habituel,comme s’ils étaient un peu gênés qu’on filme chez eux.

Pourquoi avoir choisi ce motel à l'esthétique un peu glauque, un peu délabrée, comme lieu central de « La Vanité » ?

Il est assez emblématique d’une architecture qui était très en vogue dans la fin des années 50 début 60, le but était de privilégier la voiture. Il s’agit de l’époque où on crée l’autoroute A1 entre Lausanne et Genève et ce motel est construit pour loger les personnes qui viennent à l’expo de 64. J’avais vu un film qui montrait les transformations à Lausanne avant l’expo et les commentaires étaient dithyrambiques sur l’arrivée de la voiture : on a comblé les rives du lac, construit l’université, bétonné tout Vidy et les gens ont trouvé ça formidable, on ne venait plus à Lausanne en train on venait en voiture. Donc je me disais que c’est une époque qui aujourd’hui nous paraît absurde, lointaine et extraterrestre. Et du coup il y avait l’envie que ce motel incarne quelque chose qui était les 20 ans de David Miller (personnage principal de la Vanité ndlr) : quand Miller était jeune, c’était un monde comme cela à quoi on rêvait et aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas, son motel va être fermé. C’était vraiment l’idée de montrer la jeunesse, les rêves déchus de cet architecte qui ne résidait plus que dans ce vieux motel en voie de fermeture.

Donc la volonté de mourir de Miller va de pair avec la mort d'une époque ?

Oui en tout cas le fait d’avoir renoncé à une forme de jeunesse. Et je crois sincèrement que l’époque dans laquelle on vit a renoncé à une forme d’espoir, d’innocence, de croyance au futur qu’on a quand on est jeune. On est dans une époque qui a vieilli. Dans les années 60, les gens adoraient encore l’Amérique, il pensait encore que c’était une sorte de pays de la modernité absolue, ils se disaient que ça allait aller mieux. Aujourd’hui on essaie de faire en sorte que ce ne soit pas trop pire et c’est normal, on est dans une situation assez critique mais ça s’est passé en très peu de temps et David Miller a eu le temps de voir ces deux moments.

Tous les personnages du films sont très typés, très caractérisés, d'où cela vient-il ?

Le film emprunte au théâtre populaire dans sa mise en place, à la manière du théâtre de Boulevard par exemple, avec des personnages caractérisés, des portes qui claquent, des personnages qui se trompent de chambre, des quiproquos. La surcaractérisation des personnages est aussi inspirée des films américains des années 40-50, parce que une fois que le personnage est posé on peut lui faire faire pleins de choses qui dépassent le cadre de sa caractérisation. On met très peu de temps à savoir qui ils sont et dès que ces choses là sont posées on peut passer à autre chose et raconter les étincelles que leur rencontre va produire.

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Les années 40-50 sont donc aussi la source d'inspiration cinématographique ?

Oui, d’où l’idée de faire film avec un décor créé en studio, très faux. Le parking, l’extérieur a en fait été tourné dedans. Seule la scène de la piscine et la scène dans Lausanne a la fin ont été tournées à l’extérieur.

Pourquoi avoir choisi la thématique du suicide assisté ?

Elle permettait de créer une absurdité : quelqu’un va mourir sans que ce soit un crime et c’est un suicide qui est légal. Une mise à mort consentie et voulue mais à laquelle des gens vont assister. Il y a quelque chose de bizarre dans cette forme d’organisation de la mort. Et en même temps, c’est une petite pique, un petit clin d’œil à la Suisse qui a très vite résolu le problème en disant « Voilà les gens veulent se suicider on trouve une façon de faire, une loi, on vote un machin tout le monde est d’accord et on passe à la chose suivante ».

Peut-on parler d'un cinéma suisse romand ?

Oui par le fait que je suis un réalisateur suisse-romand mais je me suis toujours dit que les films devaient être vu partout. Alors oui le film est très suisse, très lausannois, mais en même temps je crois que quand les Français ou les Québécois le voient ils ne vont pas tellement voir la question de la Suisse, ils vont voir un film comme nous quand on va voir un film espagnol. C’est l’histoire qui nous intéresse.
En tant que Suisses on s’imagine qu’il ne faut pas être trop « local » pour parler au monde entier et c’est exactement l’inverse. Les gens sont intéressés quand on dit quelque chose de l’endroit où on est. Il y a peut-être un léger exotisme. Certaines choses vont leur paraître bizarres, mais c’est ce qu’on aime aussi dans le cinéma américain donc je crois que les autres ont la même curiosité pour nous que nous avons pour eux. J’ai toujours fait des films qui ressemblent à qui je suis. Je suis lausannois, né à Lausanne et même si je vis en France je reste profondément lausannois, quand j’imagine une ville pour un film c’est Lausanne parce que c’est ma ville.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans ce tournage ?

La rencontre avec Carmen Maura parce que c’est quelqu’un avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Elle vous apprend beaucoup sur ce métier parce qu’elle a une grande expérience. Elle a tourné avec des grands réalisateurs comme Pedro Almodovar ou Francis Ford Coppola et travailler avec quelqu’un qui a l’expérience de grands réalisateurs ça vous enrichit et vous fait bénéficier de tout ce que les autres lui ont donné. Ça rend le film meilleur. C’est un vrai plaisir d’avoir collaboré avec elle et de voir comme elle s’est bien entendue avec Patrick Lapp et à quel point ils étaient heureux d’être ensemble. Je suis aussi très content qu’Ivan Georgiev ait pu faire ce film, je pense que c’est vraiment un bon comédien et qu’il fera d’autres films.

Propos recueillis par Coralie GIL