Au-delà des lignes rouges, documentaire sur la lutte pour la justice climatique, était projeté samedi dernier dans le cadre du Festival du Film Vert à Fribourg (FFV). Antoine Thalmann, militant et membre du « Lausanne Action Climat » était sur place pour prolonger la discussion autour du thème de la désobéissance civile.

« System change not climate change ! »

Scandé au Bourget, en Rhénanie, dans le port d’Amsterdam, ce slogan a marqué le déroulement de la 21ème Conférence des Parties (COP) en 2015, et continue de retentir alors que d’autres conférences internationales sur le climat se succèdent année après année. C’est également cette devise qui rythme le documentaire réalisé par Luciano Ibarra, qui retrace trois actions citoyennes organisées en marge de la COP de Paris : occupation des mines à ciel ouvert de lignite en Rhénanie en Allemagne pour arrêter les excavatrices qui engendrent le plus d’émissions de CO2 en Europe ; voyage de plus de 5.600 km en vélo jusqu’à Paris à la rencontre d’initiatives locales et durables (Alternatiba) ; actions contre l’importation de combustibles fossiles dans le port d’Amsterdam, emblème du libre-échange global. Avec en toile de fond l’accord de Paris sur le climat et les beaux discours qu’il a produit, « Au-delà des lignes rouges » redonne leurs voix aux citoyens qui veulent se faire entendre pour dénoncer ces mêmes chefs d’État qui continuent à soutenir un mode de vie pourtant insoutenable.

Des « lignes rouges »

« To cross the red line », c’est dépasser les bornes de l’acceptable. C’est voir son habitat englouti par la montée des eaux, comme l’explique une manifestante venue à Paris depuis une île du Pacifique, qui éclate de colère : « Nous allons droit vers un génocide, un écocide, la perte de nos terres et de notre culture ». Mais le seuil des 2 degrés de réchauffement à ne pas dépasser, sur lequel se sont pompeusement mis d’accord les 196 délégations venues du monde entier à Paris en 2015, est-il une ligne à suivre suffisante ?
Non. Le véritable problème réside dans la perpétuation d’un système consistant à détruire consciemment la planète, ainsi que dans l’apathie de tou.te.s face à cette catastrophe toute indiquée, alors qu’on connaît pertinemment ses causes et donc ses solutions depuis trop longtemps. Nous avons déjà fermé les yeux sur bien des symptômes du problème qui nous paraissait lointain et pourtant ô combien évident, et aujourd’hui, la question suivante se pose : comment convaincre les « préservés » que l’urgence climatique est l’affaire de tou.t.es ?

Matérialisé par une véritable ligne rouge en tissu déployée entre l’Arc de Triomphe et la Défense lors de la COP21 pour dénoncer le lien entre pouvoir politique et pouvoir de l’argent, le message se veut plus large qu’une simple mise en garde contre le réchauffement climatique.

La ligne rouge du film, c’est celle-ci. Celle qui définit la limite du ridicule franchie par les dirigeants du monde qui se gargarisent d’un accord qu’ils n’ont aucun intérêt à respecter, et qu’ils ne respecteront pas. Celle qui exprime l’impatience, celle qui symbolise le signal d’alarme que tirent des simples citoyen.ne.s qui ne veulent plus attendre.
Ces citoyen.ne.s bravent les restrictions imposées par l’état d’urgence en France interdisant les manifestations après l’attentat du 13 novembre 2015 et se rassemblent pour crier leur refus de se faire berner plus longtemps par des gouvernements aux discours hypocrites, sans pour autant céder au sentiment d’impuissance.

« Ça a commencé par des campagnes étudiantes pour fermer l’eau du robinet pendant qu’on se brosse les dents »

C’est ce qu’Antoine Thalmann, alors étudiant en Angleterre, se remémore quand on lui demande quelles premières actions militantes il a menées, de retour dans la salle silencieuse du Rex à Fribourg. Il enchaîne : revenu en Suisse, il a proposé à des ami.e.s d’organiser le déplacement vers le camp climat Ende Gelände en Allemagne, dont on retrace les actions dans le documentaire d’Ibarra. De bouche à oreille, le petit groupe s’élargit et c’est à 50 qu’ils se retrouvent à partir ! Néanmoins, Antoine nuance : « ce n’est pas non plus pour tout le monde, il faut courir, dormir sous tente… » et rappelle qu’il faut malgré tout toujours prendre la mesure des risques auxquels on s’expose : en effet, il serait dommage de perdre du temps et de l’énergie pour des actions peu visibles ou infructueuses qui peuvent parfois faire risquer un procès, ce dont il a pu faire l’expérience. Le militant raconte qu’il n’a cependant pas été pénalisé dans sa recherche d’emploi dans le domaine de l’enseignement malgré son casier judiciaire, marque qu’il était prêt à défendre des valeurs légitimes. Et si les actions de sensibilisation, visibles et peu risquées, telles que le collage d’affiches portent leurs fruits, il ne faut pas s’en contenter.

« Réveiller la conscience morte »

Ce qui suscite l’engagement chez les gens restent les actions directes selon Thalmann. Et, citant l’étude sociologique de Pamela Oliver, il explique qu’il suffirait d’atteindre une « masse critique » équivalant à 3.5 % de la population, qui mènerait des initiatives de désobéissance civile, pour que le reste prenne conscience des problèmes ou des défis à relever. Il reprend la citation de Gandhi : « il faut réveiller la conscience morte ». Cependant, comme le fait remarquer la modératrice du FFV, lorsqu’on observe le peu de mobilisation que la réouverture de la centrale de Beznau en Suisse a suscité pour prendre un exemple, on reste sceptique quant à la capacité des citoyen.ne.s à (ré)agir sur des sujets même très proches d’eux, et donc quant à l’émergence même de cette « masse critique ». Ce à quoi Tahlmann répond que c’est précisément cette réflexion, selon laquelle les Suisses ont ancrée dans leur mentalité l’idée qu’on ne peut rien changer, qui empêche justement les gens d’agir. « Le comble, c’est que cette vision est d’ailleurs le plus souvent relayée par les militants eux-mêmes ! »

Et si on retournait le problème ?

Serions-nous trop soumis à l’autorité pour penser notre action ? Ne nous autoriserions-nous pas à développer une capacité d’agir, de réfléchir, d’être créatif…? Des astuces, pourtant, il en existe : Antoine raconte qu’à Ende Gelände, les militant.e.s étaient encouragé.e.s à laisser leurs passeports loin d’eux et ne pas décliner leur identité, voire à se mettre de la colle sur les doigts pour qu’on ne puisse pas relever leurs empreintes. Le documentaire le montre : le nombre gagne, les policier.ère.s sont submergé.e.s et l’objectif des activistes, qui est de stopper la production de la mine, est atteint. D’autre part, Antoine Tahlmann rappelle qu’il y a différents moyens d’agir en prenant l’exemple de Mme Schneider, 86 ans, qui, avec son graffiti sur la BNS «Le commerce d’armes tue », a retenti dans la presse et marqué les esprits.

Et si la contestation, lorsqu’elle est bien orchestrée et organisée, gagne en visibilité et en attractivité au niveau européen comme l’illustre l’exemple des Climate Games dans le documentaire, la Suisse n’est pas en reste : Tahlmann assure que le LAC, « Lausanne Action Climate », prépare une action de masse d’ici peu… à nous de la suivre, de près ou de loin !

 

Au-delà des lignes rouges est en libre accès sur le site de Cine Rebelde, collectif de médias indépendants produisant des films en lien avec des mouvements sociaux et des luttes sociales partout dans le monde: http://www.cinerebelde.org/index.php?language=fr

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