La foi chrétienne de nos jours : Charles Morerod, ancien étudiant de notre uni, devenu evêque de Lausanne, Genève et Fribourg, nous offre quelques pistes de réflexion*.

– Qu’est-ce-qui vous a poussé, à l’origine, à entrer au Grand Séminaire de Fribourg, et à vous lancer dans cette profession ?

C’était ma vocation. Mais je n’en avais aucune envie. D’autres prêtres ont vécu cela un peu plus comme une espèce de continuité naturelle. Personnellement, je me suis senti appelé. Je repoussais l’idée mais elle revenait. J’ai donc fini par la prendre au sérieux. En fait, j’avais simplement la foi, cette relation personnelle marquée par la confiance en Dieu.

– Quels ont été selon vous les enjeux majeurs de l’entrée de l’Eglise catholique dans le XXIe siècle ?

Il y a eu une forte évolution au cours des cinquante à soixante dernières années. Si on pense à la Suisse, et spécifiquement au canton de Fribourg, où j’ai grandi, la place de l’Eglise dans la société a beaucoup changé. Il y a une cinquantaine d’années, l’attitude par défaut dans le canton de Fribourg était d’être catholique. Quand j’étais adolescent, ça n’était déjà plus vraiment le cas, et maintenant l’attitude par défaut est de ne pas être catholique, et les esprits « critiques » ne sont plus les mêmes.. L’Eglise gérait un peu  tous les aspects de la société. Elle a cessé de le faire.

– De quel œil voyez-vous cette désinstitutionalisation de l’Eglise,  accompagnée d’une certaine individualisation des croyances ?

Selon moi, le fait que l’Eglise n’exerce plus un pouvoir sur la société a été synonyme de libération. Et ce aussi pour l’Eglise. L’acte de foi, par nature, doit être un acte libre. Quant à l’individualisation, je dirais ceci : si chacun est complètement réduit à sa propre recherche spirituelle, ça lui rend la tâche plus difficile que s’il peut se faire aider. On peut aussi apprendre, en ne choisissant pas simplement ce qu’on aime soi-même mais en acceptant de se faire proposer quelque chose. Proposer, et pas imposer. Les êtres humains ne sont pas des individus juxtaposés. Si tout ce que j’ai dans ma vie revient aux choix déterminés par ce qui sera agréable pour moi, il y a là une certaine réduction de la nature de l’existence. A l’autre extrême, un système totalitaire où tout est choisi pour vous n’est pas un idéal qui m’attire beaucoup.

– Parlons maintenant de votre parcours. Qu’avez-vous tenté d’apporter, tout au long de ce dernier ?

Je me suis trouvé à faire des choses que je n’avais pas forcément prévues. On m’a appelé à enseigner à Rome, j’y suis allé. Je ne m’y attendais pas, mais j’étais content d’y aller. Ensuite on m’a appelé à devenir Evêque en Suisse, et je suis venu.

C’était intéressant d’enseigner, et de rencontrer dans ce contexte-là des gens du monde entier. D’une part, quand j’enseignais, je vivais dans une communauté de dominicains. Nous venions d’au moins 25 pays, et habitions ensemble. Les étudiants étaient quant à eux originaires d’au moins une centaine de pays. Cette pluralité m’a vraiment aidé à comprendre beaucoup de choses dans leur manière semblable et différente de vivre leur foi chrétienne. Je me souviens d’une discussion entre deux cours, lorsque j’étais à Rome : sur le moment, j’avais été frappé d’être en conversation avec deux Chinoises, deux Américains et une Nigériane en même temps. Pas tellement habituel comme configuration ! Dans ces cas-là, la religion transcende un peu les différences, parce que de fait, l’expérience de foi était la même, on le remarquait en parlant. Et les textes religieux restent les mêmes.

– Pensez-vous que dans notre contexte occidental, nous ayons perdu de vue cette foi, qui est si forte dans les pays dits émergeants ?

Dans un pays comme la Suisse, oui. En Italie, par exemple la situation est très différente. Mais la modernisation est un phénomène effectif, c’est-à-dire qu’il existe aussi des réactions d’individualisation importantes en Afrique et en Amérique latine, des continents où la foi est particulièrement vivace. Par conséquent, je crois qu’il y a d’autres facteurs liés à cet amoindrissement de la foi en Europe. J’ai parlé dans les rues de Fribourg avec un SDF Algérien, et il me disait avoir vécu dans plusieurs pays d’Afrique où les gens vivaient beaucoup plus pauvrement, où la mortalité infantile était beaucoup plus forte, et les gens étaient, selon lui, plus heureux qu’ici. Un Vietnamien qui vit en Suisse me confiait avoir été, après la chute du Vietnam du Sud, deux ans dans des conditions très difficiles. Au début, quand il voyait un serpent, il partait en courant. Après un certain temps, c’est le serpent qui s’enfuyait parce qu’il voulait le manger…  Il y a des différences quant à la manière dont on perçoit ce qui nous arrive. Ici, on se pose moins les questions liées aux problèmes de survie immédiate. Cette proximité avec des enjeux plus fondamentaux rapproche peut-être de la foi.

– Voyez-vous venir, dans les prochaines années, un retour en force du religieux en Occident ?

J’ai lu il y a une vingtaine d’années, dans un hebdomadaire français, un enseignant qui disait en substance: « Il y a quelques années, quand je voulais intéresser mes étudiants, je leur parlais de politique. Quand je voulais les faire rire je leur parlais de religion. Maintenant c’est le contraire ». Cela tient aussi au fait que ce retour d’intérêt pour la religion n’est pas dû qu’à des causes positives (ndlr : la violence à prétexte religieux). Les politiciens français, venant d’un pays où la culture religieuse ne fait pas partie de l’enseignement habituel, sont assez mal préparés à comprendre ce qui se passe au niveau du fondamentalisme religieux. De ce point de vue, une culture religieuse peut aider aussi à aborder ces choses-là de manière un peu plus adaptée.

– Quels souvenirs gardez-vous de l’Université de Fribourg ?

J’ai collaboré avec Spectrum pendant quelques années. J’ai également été président du conseil des étudiants. J’avais aussi été élu comme représentant des étudiants de la faculté de théologie. A ce titre-là, j’ai participé à l’élection du recteur. Puis Spectrum m’a demandé de décrire comment cela s’était passé. Ce qui avait quelque peu irrité le recteur réélu. (ndlr : Augustin Macheret). J’ai gardé de bons souvenirs de ces études (d’abord en théologie, puis en philosophie). Je me disais: « C’est merveilleux, je suis dans une période de ma vie où j’ai beaucoup de temps pour m’intéresser à des choses variées. » Aujourd’hui, je me dis encore que j’ai eu raison d’en profiter.