Invité au NIFFF, Spectrum s’est plongé dans le monde de la cinéphilie au travers du film Sons of Denmark, vision terrifiante d’un futur trop proche où les discours politiques de certain·e·s mettent à feu et à sang la vie des autres. Verdict ?

Le présentateur s’adresse au leader du parti d’extrême-droite à propos de la campagne électorale :

« Êtes-vous allé dans les «ghettos» ? »
« …
Il y a des endroits que l’on évite… pour des raisons stratégiques. »

[00:00:00] L’expression « vie quotidienne » exprime ces petites choses qui se répètent, tous les jours, invariablement. Le café, le bisou amoureux, le train, …

[00:02:17] La gare explose.

Le bilan est dramatique : 23 morts et un souffle brûlant qui se répand à travers tout le pays.

Hier, aujourd’hui, demain ?

L’explosion a entraîné une déferlante de haine envers les étranger·ère·s. Tou·te·s sont concerné·e·s : clandestin·e·s, réfugié·e·s, travailleur·se·s ou familles vivant depuis 20 ans au Danemark. Ils·elles sont tou·te·s étranger·ère·s et n’ont tout simplement pas à rester dans ce pays.

Sons of Denmark est qualifié de film d’anticipation, du fait qu’il se déroule dans le futur, en 2025. Les événements pourraient pourtant tout autant se produire maintenant, voire même s’être produits il y a quelques années, lors de la vague d’attentats terroristes qui a frappé l’Europe.

Un groupe d’extrême-droite néonazi, les Sons of Denmark, sème la terreur avec leurs actions coups-de-poing, à grand renfort de slogans violents et de têtes de porcs décapitées. Simultanément, le parti nationaliste profite de cet élan xénophobe et grimpe dans les sondages. En réponse, la communauté étrangère s’organise, se soutient et, pour certain·e·s, s’arme.

Face à la pression que le voisinage fait subir à sa famille, Zakaria rejoint la branche armée. Le jeune Iranien de 19 ans se fait peu à peu embrigader. La subtilité de la progression est telle que l’on ne s’en rend compte que trop tard. Tout dans son parcours – la famille, les rencontres, les idéaux, les discussions – attire la sympathie du public. Au point que l’on se refuserait à admettre ce qui se déroule juste sous nos yeux. Ce n’est qu’un enfant. Innocent, naïf, idéaliste, instrumentalisé, radicalisé ? À chacun∙e de se forger sa propre opinion.

L’humanité avant la nationalité

Zakaria n’est pas le seul à être aussi développé. Tous les personnages sont humanisés à l’extrême. Ils ne se contentent pas de réciter leur texte, mais font ressentir qu’il y a quelqu’un derrière le rôle. Antagonistes ou protagonistes, ils ont tous un travail, une famille et des amis, des problèmes et des éclats de rires, des rêves et des peurs. Ils existent au même titre que vous et moi.

Cette manière de présenter les personnages rend le film particulièrement appréciable. Mais elle augmente aussi le réalisme du scénario, rendant le message du film d’autant plus éprouvant.

Réussite esthétique

À ce propos, Ulaa Salim, le réalisateur, l’a bien compris : le meilleur moyen de propager ses idées consiste à les mettre dans un bel emballage. Sons of Denmark est une gourmandise pour les yeux. Fluides et parfaitement équilibrés, les plans et leurs enchaînements ont été mûrement réfléchis et cela se ressent.

La maîtrise des effets d’ombre et de lumière amène un soutien supplémentaire au scénario. Elle est renforcée par un code couleur répété au cours du film, de manière discrète ou plus assumée. Au rouge tension violente succède le vert déclencheur des événements dramatiques, parfois entrecoupés de bleu gyrophare de police, jamais pour le meilleur et toujours pour le pire. Finalement vient le jaune, moment où la tension – du personnage autant que du public – devrait se relâcher. Mais le réalisme et la dureté des faits bloquent l’esprit et figent les pupilles. On prétend souvent que plus la scène est forte, moins on en montre à l’écran. Sons of Denmark montre beaucoup. Ce qu’il ne montre pas amène donc d’autant plus d’émotions, encore une fois grâce au cadrage impeccable.

Classique monumentale

La bande-son quant à elle est presque à la hauteur du visuel. Son seul défaut réside dans le classicisme de ses effets, qui trahissent le fait qu’il s’agisse du premier long-métrage du réalisateur. Toute action trop chargée émotionnellement est noyée dans du Mozart à la danoise, donnant une légitimité solennelle et monumentale à la situation. Cette grandiloquence est contrebalancée par la douceur des comptines maternelles, bouffées d’humanité chaleureuse et rassurante. Cette alternance fonctionne cependant très bien, lui reprocher son manque d’originalité relève donc du détail.

Profondément réel, tout en restant terriblement humain, Sons of Denmark est une pépite à voir absolument. Le film nous quitte en laissant une dernière question en suspens : au fond, qui sont vraiment les fils du Danemark ?

Sons of Denmark
Ulaa Salim
Thriller d’anticipation
Danemark
2019
119 minutes
Crédits photo: © NIFFF