Si le FIFF renouvelle sa sélection chaque année, le festival permet aussi de revoir des œuvres marquantes des éditions précédentes. Apprentice, récompensé à Cannes, fait partie de ces films poignants dont le retour est amplement mérité. Boo Junfeng, actuel membre du jury du FIFF, nous entraîne dans les coulisses de la mort.

Aiman Yusof, ancien soldat, travaille comme gardien dans une prison de haute-sécurité à Singapour. Il vit avec sa grande sœur Suhaila dont le seul désir est de partir avec son fiancé australien et de laisser derrière elle un passé tragique. C’est ce même passé qui poussera Aiman à se rapprocher du bourreau de la prison qui le prendra sous son aile, le formant à exécuter les condamnés, proprement et sans douleur. Aiman devra faire face aux conséquences morales de ses actes, dans une spirale infernale où les notions de compassion et de culpabilité semblent bien illusoires.

Ce deuxième long-métrage de Boo Junfeng impressionne par sa maîtrise, autant dans sa forme que dans son propos. On comprend aisément que le réalisateur passa cinq ans à peaufiner cette exploration du monde carcéral de son pays. Un sujet aussi brûlant que la peine de mort demande une justesse de chaque instant. Plutôt que de se lancer dans une plaidoirie, le film laisse le soin à ses personnages de présenter les différents points de vue sur le bien-fondé de la peine capitale. Cette polyphonie nous déconcerte, tant il est difficile de prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes. La mort n’est cependant pas qu’un sujet de dissertation. Le spectateur est horrifié par la simplicité et la décontraction avec laquelle le maître explique à son apprenti la meilleure façon de mettre fin à la vie d’un homme, dans un mélange de compassion et de détachement à faire froid dans le dos. Cette dichotomie illustre subtilement le rapport ambigu entre les deux hommes, Aiman trouvant à la fois une figure paternelle mais aussi un adversaire redoutable.

Les condamnés, s’ils ne sont pas au centre de l’intrigue, sont essentiels à la compréhension du propos. Boo Junfeng nous les dépeint d’une façon parfaitement inédite pour l’occidental habitué aux portraits de tueurs sans âme. Ici, les coupables sont des êtres humains, terriblement banals et fragiles. Leur voyage vers l’inévitable n’est pas une délivrance. C’est un moment de terreur absolue et viscérale, amplifié par une bande-son angoissante. On ne ressent aucune satisfaction à les voir se faire passer la corde au cou. Il n’est jamais ici question de justice. Qu’importe s’ils étaient innocents, la loi a décidé pour eux.

Cette déconstruction du système judiciaire est rendue plus palpable encore par le parcours de notre héros qui semble au premier abord plus libre d’exprimer sa nature en prison que chez lui où il se sent cloîtré, dans une inversion mordante. Plus qu’une quête des origines, c’est une descente aux enfers qui verra Aiman plonger figurativement et littéralement dans l’abîme, se perdant toujours un peu plus dans le labyrinthe menant au couloir de la mort. Le réalisateur n’hésite pas à jouer des contrastes marqués entre ombre et lumière et à utiliser les couleurs vives pour symboliser les états d’âme de l’apprenti-bourreau. Le cadre est souvent obstrué par des grillages ou des barres de fer, exprimant avec clarté l’emprisonnement moral, non seulement d’Aiman mais de son maître également.

Car si l’on devait résumer ce film à une idée maîtresse, c’est que tous autant que nous sommes, exécuteurs ou exécutés, nous restons prisonniers; de nos actes, de nos devoirs ou de notre passé.

Apprentice
Singapour
Junfeng Boo
2016

Crédits photo: © FIFF