Pour le dernier soir des Georges samedi régnait une ambiance électrique pour le concert de Gaël Faye. Une tempête de mots s’est abattue sur le public des Georges, atteignant son paroxysme alors que l’orage éclatait dans le ciel fribourgeois. L’aura du rappeur, son verbe acerbe et les éléments déchaînés se sont conjugués pour un concert surnaturel.
C’est grâce à ses textes percutants, drôles et émouvants que Gaël Faye nous a transporté dans un Paris beau et hostile, au Burundi où il a passé son enfance ou encore au Rwanda de 1994. On entre dans ce voyage sans difficulté, captivé par des paroles simples mais subtiles, truffées d’habiles jeux de mots. Tantôt slameur, tantôt rappeur, l’artiste franco-rwandais touche en plein coeur parce qu’il sait mettre des mots justes sur des histoires et des questionnements qui nous concernent toutes et tous. Le mélange de rap, jazz, soul et électro des savants beats de M. Louxor aux commandes des machines et les excellents solos de Guillaume Poncelet au piano et à la trompette ont su mettre en valeur le flow clair de Gaël Faye, d’une sincérité déconcertante.
Indifférence…
Dans TV, il nous livre ses souvenirs d’enfant devant la télévision de son village, à côté d’un Rwanda alors ravagé par les massacres. L’évocation de cette « lucarne sur le monde » n’est pas anodine : Faye thématise à la fois les relations Nord-Sud et critique un média qui diffuse une information éclatée et noie les drames dans le courant infini de l’actualité.
Pendant qu’on s’débattait dans une fournaise
Les autres nous regardaient assis en charentaises
à s’demander « Y’a quoi à la télé ?
C’est quoi ces peuples qui crient à l’aide entre le fromage et le dessert ? »
Son constat est sans concession : « Vivre hors champ d’la caméra c’est souvent ne pas exister ». Cynisme qui résonne d’autant plus en ces temps de mondial de foot… L’indifférence des foules est également dénoncée dans Tôt le matin, que Gaël Faye dédie à toutes celles et tous ceux qu’on a rendu indésirables :
Car dans la ville je meurs à nager dans des yeux
Des regards transparents qui me noient à petit feu
La zone est de mépris, la vague est d’indifférence
La foule est un zombie et je vogue à contresens
Et si le rappeur évoque la migration, c’est parce qu’il a lui aussi vécu un exil et une incompréhension face à sa qualité de métis. Le refrain du morceau homonyme est un bel hommage à toutes celles et ceux qui, dans le public ou parmi les bénévoles présent∙e∙s ce soir là, peinent à exprimer les difficultés qu’ils rencontrent dans cette situation :
Et quand deux fleuves se rencontrent, ils n’en forment plus qu’un
Et par fusion nos cultures deviennent indistinctes
Elles s’imbriquent et s’encastrent pour ne former qu’un bloc d’humanité.
[Métis]
…ou idéalisme?
Ces critiques ne sont pas vaines. Elles s’accompagnent de réflexions dont on peut tirer des solutions. « Est-ce qu’il y a des idéalistes à Fribourg ?! » Une ovation nourrie s’élève du public toujours aussi nombreux sous la pluie battante. Gaël Faye entame alors QWERTY, morceau qui évoque sa remise en question professionnelle dans un monde carriériste et dénué de sens. Après des études de commerce, il commence à travailler dans la finance à Londres avant d’opter finalement pour la musique.
Mon père m’a dit: « méfies-toi du cynisme
L’avenir appartient aux idéalistes »
Quand je serai grand, je voulais être artiste
Aujourd’hui je suis pianiste sur un clavier QWERTY
Certes, tout le monde n’est pas voué à devenir un artiste, mais sans un public attentif aux textes et conscient du rôle de l’art, les idées et les émotions ne circuleraient pas. L’importance de la fonction sociale de la musique et plus particulièrement du rap se retrouve dans un autre de ses morceaux, Fils du hip hop :
Quand le chômage augmente les rappeurs deviennent précis
Quand les médias nous mentent les MC’s font les récits
Chaque block, chaque quartier, chaque secteur possède ses rappeurs
Le système est un arbre et le rap est sécateur
Si ce concert était salvateur, c’était peut-être parce qu’il faisait contrepoids à l’importance grandissante qu’on confère à toute sorte d’excès, nous faisant oublier la gravité et la beauté, en somme la valeur de notre propre quotidien:
On nous gave d’images à satiété, de sexe, de fric et de faucheuse
Alors j’écris des textes comme un écho de nos vies silencieuses
Sur leur écran on est des bouts d’pixels perdus dans la foule
Et nos vies s’écoulent, coulent pendant qu’le monde s’écroule
[TV]
En faisant le choix de l’inviter à Fribourg, les Georges nous ont donné la chance de nous laisser porter et inspirer par des textes engagés, que seul le mélange d’une plume acérée et d’une profonde humanité rendent aussi touchants. Il ne reste plus qu’à les remercier et espérer que des artistes aussi talentueux∙ses et engagé∙e∙s figureront parmi les invité∙e∙s l’année prochaine !
Crédits photo: ©Les Georges