Vendredi 14 juin 2019, une vague violette était attendue dans nos rues : ce fut finalement un raz-de-marée. Pas moins de 12’000 grévistes ont participé à la marche dédiée à la Grève des Femmes* à Fribourg. Comment s’est déroulée cette journée que l’on peut à présent qualifier sans timidité d’historique ? De 6h du matin à 1h du matin, on vous raconte tout sur cet événement bouleversant.

On a tant entendu parler de cette grève qu’on en attendait beaucoup, et l’ensemble de la Suisse n’a pas été déçu ! Les chiffres étaient gargantuesques : 70’000 à Zürich, 50’000 à Berne, 40’000 à Bâle, à Genève et à Lausanne. Fribourg n’a pas été en reste, puisqu’avec ses 12’000 manifestant·e·s, notre chère ville aux 38’000 habitant·e·s a donc rassemblé un peu plus du tiers de sa population pour cette grève ! Autrement dit, ce rassemblement a été la plus grande manifestation politique que n’ait jamais connue Fribourg. Un véritable exploit.

Et sur le terrain, c’était comment ? Spectrum y a pris part depuis l’aube jusqu’au petit matin : les semelles usées, mais le sourire aux lèvres. Top chrono ! C’est parti pour près de 24h de participation à la grève.

La rue de Morat accueille la marche de la foule des grévistes enthousiastes 

Des pancartes violettes rebaptisent la place « Georgette Pythonne »

6h00 : Action « La rue est à nous tou·te·s ! »

Tandis que le soleil pointe le timide bout de son nez entre deux nuages gris, aidée par une trentaine de filles, je rebaptise la place Georges Python « Georgette Pythonne ». Très vite, tous les noms de rue se féminisent grâce aux panneaux violets. Ainsi, de la skieuse acrobatique à la conseillère nationale, en passant par la chanteuse d’opéra, les rues de Fribourg rendent hommage à 42 femmes fribourgeoises aux parcours inspirants. Et pour cause : elles sont les grandes oubliées de l’Histoire, avec une écrasante majorité d’allées fribourgeoises dédiées aux hommes. De quoi rappeler la banalité des inégalités entre les sexes.

11h30 : Concert de Recovery Syndrome

Le premier concert démarre et c’est le collectif musical fribourgeois Recovery Syndrome qui ouvre le bal avec des chansons engagées et un slam écrit spécialement pour l’occasion de la grève féministe. Le public est au rendez-vous, la chaîne télévisée fribourgeoise La Télé aussi. Quand vient le refrain de « Balance Ton Quoi » d’Angèle, les spectateur·rice·s chantent à tue-tête avec le groupe sur scène, et les sourires de connivence se croisent et se décroisent. L’ambiance est chaleureuse, pas le moindre doute.

Les membres de « Recovery Syndrome » inaugurent le premier concert de la journée – ©Cyrille Fragnière

Après-midi : Stands et action « Stop inégalités salariales »

La minute de silence des grévistes

L’heure est aux flâneries. On se promène de stand en stand pour y découvrir de nombreuses activités de sensibilisation aux thématiques qui touchent particulièrement les femmes : harcèlement de rue, violences conjugales, inégalités salariales… On en ressort mieux informé·e qu’on y est entré·e, et certaines réalisations statistiques font froid dans le dos. Le bar, tenu entre autres par des  hommes solidaires propose aux hommes une taxe supplémentaire de 50 centimes par boisson pour « palier symboliquement » à la différence de salaire entre les sexes. Sur les coups de 15h24, tou·te·s les grévistes sont rassemblé·e·s, assis·es et les bras croisés, pour une minute de silence en signe de protestation contre les inégalités salariales : ce serait en effet l’heure à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement chaque jour, si l’on prend en compte l’ensemble des paramètres de l’inégalité de salaire entre les sexes.

18h30 : La marche féministe

L’heure sonne, tout le monde s’empare de sa pancarte avant de se ranger dans la file des manifestant·e·s. La marche se met en branle sous les slogans criés dans les hauts parleurs « À ceux qui veulent dominer les femmes, les femmes répondent : résistance ! », « Machos, fachos, vous nous cassez l’clito ! » ou encore « So-so-solidarité avec les femmes du monde entier ! ». Dans la foule ? Des femmes de tous les âges, de la grand-maman à la petite-fille, et des hommes aussi, venus en soutien. Noyée dans ce monde, je me sens émue : je ressens un sentiment de sororité avec des femmes qui me sont inconnues et dont je me sens étrangement très proche. On se sent littéralement vivre un moment historique. C’est beau à voir.

De la cathédrale à la route des Alpes, les grévistes dénoncent à voix haute un système sexiste

21h30-01h00 : Concert de Friiispirit et after « The present is Female »

Sur la scène de la place Pythone, le groupe de musique Friiispirit, uniquement composé de femmes, ravit les oreilles

Le groupe Friiispirit interprète des chansons engagées qu’elles dédient à la grève – ©Indra Crittin

des spectateur·rice·s. L’énergie est là, le public est transporté, c’est parti pour 1h30 de pur plaisir musical ! Quand le concert est terminé, les grévistes les plus motivé·e·s finissent leur soirée à l’after de BlueFactory « The present is Female » pour danser sur des sons mixés par des femmes* cis et trans : Sativa, Madame Xango Wuwu, Big Gina, Maelle Chenaux, Ngami et Shema mettent le feu sur la piste de danse.

Je déhanche tout mon saoule, mais la nuit et la fatigue finissent par avoir raison de moi. Je rentre chez moi la tête pleine de réflexions. Les progrès ne se feront évidemment pas du jour au lendemain, mais cette grève aura sans doute le mérite d’avoir démarré un mouvement massif de sensibilisation à la cause féministe et à la condition des femmes*. Je m’endors alors le cœur plein d’une journée qui, je le sens, marque le début d’un changement social vers l’égalité. La vraie.

Yasna Omar Ali, 12 ans, brandit fièrement sa pancarte féministe

Crédits photo: Kaziwa Raim