Le bon coup. L’extase absolue. Le nec plus ultra de l’expérience sexuelle. On en a tou·te·s une image, une idée ou une définition. Mais que se cache-t-il sous cette abstraction qui chapeaute une infinité de représentations ? Témoignages.
Ceci est la version alternative de l’article « Le bon coup ? Dites-nous tout ! » issu du dossier « Couvrez ce clitoris que je ne saurais voir », paru dans le numéro papier du mois d’octobre.
Au sein du dernier numéro Spectrum, nous avions abordé la question de ce qu’est un bon coup d’un point de vue purement féminin et hétérosexuel. Vous nous pensiez partial·le·s, voire hétéronormé·e·s ? La parution écrite fût brève, voici l’occasion de compléter l’article d’origine en incluant cette fois-ci quelques témoignages tant masculins que féminins, et ce d’un point de vue tantôt hétérosexuel tantôt homosexuel.
Le bon coup, une terminologie à en faire fuir certain·e·s
Chez certaines personnes, l’expression même de bon coup suscite de l’aversion. Certes, nous l’admettons crue et peut-être superficielle mais cette formulation n’a du moins pas fait défaut lorsqu’il s’agissait de faire dégager des réactions spontanées. « Quelle nomenclature gênante ! », s’insurge un interlocuteur, nous forçant alors à justifier notre usage de ce terme. Nous sommes loin d’être de grand·e·s défenseur·euse·s de cette terminologie. Toutefois, elle se retrouve dans le registre lexical de la plupart des francophones de notre génération. Aujourd’hui, quand on parle entre jeunes de bon coup, on comprend immédiatement la référence. Pour les germanophones, c’est une autre histoire : force est de constater l’absence d’une traduction littérale en allemand… n’auraient-ils·elles alors pas de bons coups ? (joke)
Mais pourquoi cette aversion ? « Le bon coup fait penser au consommé/jeté, à une performance et je trouve cela dégradant », nous affirme une interlocutrice. En effet, la question se pose. À l’ère de Tinder, les affaires sentimentales seraient-elles de plus en plus soumises à une logique de marché ? Le calcul utilitariste du bon-ratio physique-personnalité serait-il au centre du choix des partenaires ? En tout cas, pour l’une de nos sondées, ce sont principalement les traits endogènes de la personne qui comptent : « je suis davantage attirée par la personnalité de quelqu’un que par son physique. La seule chose qui m’importe concernant le physique, c’est la manière dont la personne va l’assumer. Un bon coup c’est aussi quelqu’un de prêt à écouter mes envies, mes besoins, mes fantasmes, tout comme mes craintes et mes limites. Rien que ça, c’est psychologiquement un turn-on pour moi ». Tandis que ce témoignage met en lumière un besoin d’ordre plutôt mental, le prochain mise surtout sur le ressenti physiologique, affiliant le bon coup à un certain déterminisme naturel : « un bon coup est une bonne relation sexuelle engagée inopinément dans le but de satisfaire, dans un moment de partage, un besoin primaire qui correspond à l’appel des pulsions générées par une bonne connexion entre le corps et l’esprit », déclare ce dernier.
Derrière le masque, la réalité
Jusque-là nos témoignages semblent rompre avec les préjugés selon lesquels les hommes auraient une conception vulgaire et égoïste de la sexualité. Les confidences récoltées par notre enquête semblent notamment suggérer qu’ils chercheraient la dimension émotionnelle d’un rapport sexuel aussi bien que le font les femmes. Par exemple, un homme nous confie : « en ce qui concerne la hook up culture, l’idéal serait que bien qu’on ne connaisse pas la personne, on réussisse malgré tout à construire avec elle un échange qui permette le partage d’un moment d’intimité et de proximité, et ce grâce à la communication ».
Un autre sondé admet : « ce qui fait la magie des choses, c’est la spontanéité ! Le meilleur c’est quand je ne m’attends pas à finir au lit avec quelqu’un, et là bam ! L’important, c’est que ça se fasse dans le respect de chacun·e ». Mais d’un autre côté, on peut s’apercevoir que certains hommes, lorsqu’ils cherchent à impressionner leurs pairs masculins, n’hésitent pas à user d’un registre plus cru et souvent axé sur la performance sexuelle. « Oui c’est vrai… il m’arrive d’en parler avec mes amis d’une manière peu élégante, mais c’est juste un délire entre nous ! », avoue l’une des personnes rencontrées. Dans le jargon anglophone, c’est ce qu’on appelle du locker room talk. Défini comme un langage cru à caractère sexuel et offensif, il est généralement partagé au sein d’un groupe composé exclusivement d’hommes. L’Urban Dictionnary précise néanmoins la chose suivante à propos du terme : « Exists solely for the purpose of male comedy and is not meant to be taken seriously ». Dans ce cas, qu’est-ce qui pousse les individus à rentrer dans ce rôle stéréotypé ? Un sondé répond : « On va pas se le cacher : certaines femmes attendent de nous qu’on fasse homme, parfois viril parfois décontracté. Le mieux pour moi, c’est qu’après mon long jeu d’acteur pour séduire, je puisse enfin enlever mon masque au moment X pour partager un moment décomplexé et sincère avec ma partenaire ». Une réponse honnête qui peut pourtant prêter à débat. Ainsi, il semblerait que le conditionnement social touche aussi bien les hommes que les femmes. Pour être désiré·e par l’autre, il serait donc nécessaire de s’aligner sur les normes sociétales pour rentrer dans le moule des rôles sexués.
La question suivante se pose alors : le paraître auquel certains individus souhaitent s’identifier ne rentre-t-il pas en contradiction avec leurs attentes profondes ? Être un bon coup tel que dicté par la société, ça aurait donc un prix.
Reste à savoir qui sera prêt·e à le payer, et si cela en vaut vraiment le coup.
Léa Crevoisier et Stéphane Huber
Crédit photo: Libre de droit, Pixabey