Les violences policières sont-elles le propre de la France et des États-Unis ? Il semblerait qu’en Suisse aussi la police puisse abuser de ses prérogatives, vidéo à l’appui.

Dernière dénonciation de la Ligue suisse des droits de l’Homme en date : le 14 décembre 2019, lors d’une manifestation non autorisée d’Extinction Rebellion, un homme qui ne participe pas à la manifestation est saisi par la police (vidéo en fin d’article). Sur les images, on voit un citoyen dénoncer ce qu’il considère comme une injustice (la police empêchait manifestement un journaliste de prendre des photos de la scène), quand des policier·ère·s l’invitent à passer de l’autre côté du cordon de sécurité pour rejoindre la zone de manifestation. Le jeune homme refuse et est malgré tout emmené de force par six policier·ère·s qui le soulèvent de terre sous les protestations des témoins.

Répressions des dénonciations

Cet exemple a défrayé la chronique, ce qui a permis qu’il ne soit pas passé sous silence. Il n’existe en effet pas d’autres sources que les médias pour quantifier les violences policières en Suisse. « Les corps de police n’enregistrent pas systématiquement les plaintes portées à l’encontre des policier·ère·s et ne mettent pas les données à disposition du public. Les cantons ne transmettent pas non plus ces chiffres à l’Office fédéral de la statistique », affirme la plateforme d’information humanrights.ch. À cela s’ajoute que la législation ne prévoit pas d’infractions pénales spécifiques liées à l’usage excessif de la force par les policier·ère·s : seul l’abus d’autorité (art. 312 CP) est puni, les sévices physiques et moraux ne rentrent donc pas en compte dans ces cas. Les chiffres sont troublants : sur les 105 abus d’autorité dénoncés en 2017, seuls 4 ont été condamnés. En revanche, la condamnation des activités n’est pas rare : « De son côté, la police engage automatiquement une dénonciation pour troubles à l’ordre public et pose une plainte pénale pour injures contre agent·e·s de police », peut-on lire sur humanrights.ch. Ainsi, 85% des personnes accusées de violences et menaces contre les autorités et les fonctionnaires ont été condamnées en 2017.

Le 14 décembre 2019, des manifestant·e·s pacifistes bloquant la Rue Centrale sont évacué·e·s
de force par la police.

Impunité ?

« Cette impunité des policier·ère·s s’explique par l’inexistence d’une institution indépendante dont la mission serait de mener des enquêtes sur les éventuels cas d’abus », déplore humanrights.ch. Le Comité des droits de l’Homme, le Comité de l’ONU contre la torture (CAT) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) se sont par ailleurs exprimés sur ce sujet : « De par son double statut d’autorité de poursuite pénale et d’employeur, la police exerce des fonctions qui entravent l’indépendance de la procédure d’enquête. » Or malgré les années qui passent, aucun bureau de plaintes n’a vu le jour récemment et la création d’organes de médiation indépendants se fait toujours attendre.

Frédéric Maillard, analyste des pratiques policières, dénonce des problèmes de formation depuis plusieurs années : « Les policier·ère·s du bassin lémanique et du Valais sont formé·e·s à l’Académie de Police de Savatan. Cette Académie est rétrograde et privilégie des modes opérationnels de confrontation plutôt que de résolution des problèmes. » L’analyste ajoute : « De plus, les méthodes managériales ne favorisent pas des relations apaisées à cause d’une organisation trop militarisée, ultra-hiérarchisée et recroquevillée sur elle-même. » C’est ainsi que, selon Frédéric Maillard, les policier·ère·s se couvriraient entre eux pour protéger leur image et préserver les méthodes qu’ils·elles estiment nécessaires pour attraper les criminel·le·s. Autant d’éléments qui ont pour conséquence une perte de confiance d’une partie de la population dans les autorités publiques : « Je n’ai plus confiance en la police. J’ai constaté trop d’abus, ça me révolte », conclut un activiste climatique.