Dysmorphie corporelle: quand l’esprit déforme le miroir

Les témoignages de deux jeunes vivants avec une dysmorphie corporelle. Ils nous parlent de la déconnexion entre les attentes qu’ils ont envers leur corps et leur reflet mais aussi de leurs luttes vers l’acceptation de soi.

 

La dysmorphie corporelle est une pathologie définie dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) comme un état dans lequel une personne est excessivement préoccupée par plusieurs défauts physiques qui ne sont pas apparents pour d’autres personnes. Cette pathologie peut également être vécue comme une insatisfaction générale envers son corps. Aussi référencée comme dysmorphophobie- traduction de dismorfofobia terme utilisé par le psychiatre italien Morselli en 1891- elle peut être décrite comme une peur anxieuse persuadant l’esprit que le corps est difforme, sans qu’il ne le soit.

Illustration : Marie Schaller

Cette phobie se distingue d’un complexe de par son aspect obsessionnel mais aussi de par son exagération imaginée. Pour notre témoin Maxime* 20 ans: “Un complexe, c’est voir quelque chose qui ne nous plaît pas alors que la dysmorphie corporelle pousse à imaginer des choses qui ne reflètent pas la réalité”. Ce décalage avec la réalité peut créer une angoisse constante. Dans le DSM-5 la  dysmorphie corporelle est classée parmi les troubles obsessionnels-compulsifs et connexes. Un trouble devient pathologique quand il y a un comportement obsessionnel qui empêche de penser à autre chose au point d’affecter le quotidien de la personne qui en souffre. Il devient alors impossible d’exécuter la moindre tâche sans que  les méninges ne soient occupées à imaginer comment le corps est perçu par les autres et par soi-même.

 

Le conseil de Loris: relativiser

Selon le dictionnaire Larousse, relativiser signifie faire perdre à quelque chose son caractère absolu en le replaçant dans un ensemble, un contexte.

Loris, 24 ans, a à cœur de sensibiliser la population à cette pathologie qui est selon ses termes “oubliée et incomprise”. N’étant guère connue, elle peut donc être plus difficile à reconnaître que d’autres troubles, tels que ceux en rapport avec l’alimentation par exemple.

L’amateur de fitness décrit une focalisation constante sur une partie du corps spécifique. Il raconte avoir eu de la peine à apprécier et parfois même à reconnaître ses résultats à la salle. Il essayait alors tant bien que mal de changer une partie de son corps, mais en restait éternellement insatisfait.

C’est grâce aux expériences de camarades de fitness et aux réseaux sociaux que Loris a compris qu’il souffrait de dysmorphie corporelle. Il explique son vécu: « Il y a des moment où tu ne vas vouloir que travailler là-dessus. Tu veux  trouver des solutions pour corriger ça alors qu’en fait il n’y a rien à corriger. J’ai appris à m’accepter et à me forcer à ne plus me focaliser là-dessus”, confie-t-il. Sa résilience l’aide à déconstruire cette  vision altérée qu’il a de lui-même.

Il a dû s’habituer à prendre de la distance face aux progrès physiques des autres athlètes, que ce soit ses proches où des influenceurs derrière un écran.

Par rapport à ces derniers, Loris reste lucide: “Il faut penser que c’est leur boulot, qu’ils font ça toute la journée. Ils n’ont pas de travail ou d’ études à côté, ils sont suivis par des médecins, des diététiciens et même par des coachs sportifs. Toute leur vie est dédiée à leur physique.”.

Une dévotion qui ne peut pas être du ressort de monsieur-tout-le-monde.  Loris rappelle qu’il y a des prédispositions génétiques à prendre en compte mais que l’honnêteté joue également un rôle important. Une prise de médicaments, du dopage, un montage photoshop ou encore de la chirurgie esthétique, qui sait ce qui se cache vraiment derrière une photo qui semble parfaite?

Loris aime à  rappeler qu’il est souhaitable d’essayer de rester connecté à la réalité le plus possible, et surtout de rester humain.

 

Le conseil de Maxime: normaliser

Le Robert définit le verbe « normaliser » par faire devenir ou redevenir normal.

Maxime, 20 ans, est également concerné par la pathologie et confie que c’est un sujet qu’iel a déjà abordé avec sa psychologue.

À la demande de ce qu’un proche a la possibilité de faire ou dire pour faciliter la vie de quelqu’un souffrant de dysmorphie corporelle, Maxime conseille d’éviter les commentaires sur le physique, les compliments y compris. Iel développe en nous rappelant que malgré une bonne intention, un compliment peut provoquer un sentiment de mal être. « Je n’aime pas recevoir de commentaires sur mon corps, surtout que généralement ça ne va pas dans le bon sens. Ce que les gens pensent être un compliment ce n’est pas du tout quelque chose que je veux », explique Maxime. Iel propose donc de concentrer les compliments sur la personnalité ainsi que sur les aspects physiques contrôlables tels que le style vestimentaire. Maxime avise également les proches de personnes souffrant de dysmorphie corporelle à faire la part des choses. Les patient.es ne cherchent pas toujours des conseils et veulent parfois juste exprimer leur frustration .

Pour les gens qui ont de la peine à apprécier leurs corps, les conseils de Maxime sont: “Passer du temps à poil et avoir un max de miroirs. Cela peut contribuer à banaliser son propre corps et à le reconnaître pour ce qu’il est.

 

Le cas des modifications corporelles

Spectrum a interrogé Loris et Maxime sur la chirurgie esthétique et l’aide qu’elle pourrait apporter dans un cas de dysmorphie corporelle. Tous deux ont répondu qu’ils n’y voyaient pas une solution pour eux personnellement. Ils y voient tout de même du potentiel dans un cas où le patient reconnaîtrait les limites de cette possibilité. Loris mentionne le risque de création d’un cercle vicieux : « Ça peut être bénéfique jusqu’à un certain point mais ce n’est pas la solution. La première chose à faire c’est de travailler sur son esprit », précise-t-il. Maxime rappelle que de nos jours l’aspect potentiellement traumatisant des opérations chirurgicales a tendance à être oublié:  “Banaliser, glorifier mais aussi capitaliser sur des opérations chirurgicales pour en faire des modes…C’est vraiment malsain.” soupire-t-iel.

Les piercings et autres tatouages devenant de plus en plus communs dans la société contemporaine occidentale, il peut être sage de se rappeler que des moyens moins radicaux existent pour se réapproprier son corps.  C’est la liberté de chacun.e que de choisir les moyens de cette réappropriation…

Ressources

N’oubliez pas cher.e.s lecteur.rice.s que le conseil psychologique aux étudiant.e.s se porte à votre disposition via l’adresse e-mail conseilpsychologique@unifr.ch . Vous trouverez plus d’informations sur le site de l’UNIFR sous les onglets “organisations” et “conseil psychologique aux étudiant.e.s”.

 

La dysmorphie corporelle est à différencier de la dysphorie de genre, commune aux personnes dont l’identité sexuelle n’est pas cisgenre. Elle décrit la détresse et l’inadéquation qu’une personne peut ressentir entre son identité de genre et le genre assigné à la naissance. L ’American Psychiatric Association (APA) insiste sur le fait que la non-conformité de genre n’est pas un trouble mental. Elle peut être cela dit caractérisée par une souffrance clinique significative, ce qui lui donne de la pertinence dans l’étude des psychopathologies.